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28 Avril 2013
Dans l'Oise, lors de la récente législative partielle, de nombreux électeurs de gauche ont choisi l'extrême droite. Rencontre avec des déçus qui sont devenus des révoltés.
La candidate frontiste à la législative, Florence Italiani (ici avec le vice-président du FN, Florian Philippot, à g.) a recueilli 58 % des suffrages dans le canton de Grandvilliers, et près de 70 % dans d'autres communes du département de l'Oise.
"Moi quand je promets quelque chose, je tiens parole! Ce gouvernement, c'est tout le contraire!" A peine de retour de l'usine, installé dans la salle à manger de son pavillon, Pierre ne prête qu'une attention distraite à son fils de 3 ans qui tournicote autour de lui pour attirer son regard.
La politique n'est pas une passion, mais ce jour-là, alors que l'affaire Cahuzac vient d'éclater, ce trentenaire tient à partager sa déception. D'une voix douce, sans jamais se départir d'un sourire aimable, il égraine les motifs qui l'ont poussé, lors de la législative partielle de la deuxième circonscription de l'Oise, les 17 et 24 mars, à voter Front national. Pour la première fois de sa vie.
Il avait promis de faire baisser le chômage. Vous avez vu le résultat?
"Pendant sa campagne, François Hollande refaisait le monde. Moi, j'y croyais. Il avait promis de faire baisser le chômage. Vous avez vu le résultat? Et ne parlons pas de l'industrie! Il disait vouloir protéger les ouvriers, mais il a refusé de nationaliser Florange. C'est pénible", souffle-t-il, jetant un coup d'oeil à sa femme qui feuillette le programme TV de la semaine.
Issu d'une famille d'ouvriers, le tourneur-fraiseur à la carrure de rugbyman et aux yeux bleu ciel peine à trouver ses mots pour décrire la désillusion qu'il a peu à peu ressentie. A la dernière présidentielle, comme toujours depuis l'âge de 18 ans, Pierre avait voté à gauche. Idem aux législatives qui ont suivi. Au fil des mois, devant le journal de 20 heures, il a assisté dépité, au chapelet de "mauvaises nouvelles". Près d'un an après, il ne comprend pas "où ça va". "Choisir le FN, c'est un vote de rejet", affirme-t-il sans ciller.
Le cas de Pierre n'est pas un cas isolé. Dans le canton de Grandvilliers où il a grandi et où il vit, Florence Italiani, la candidate FN, a recueilli 58% des suffrages. Dans certaines communes, elle a flirté avec les 70%! Le maire UMP du petit bourg de Grandvilliers, Jacques Larcher, soupire: "Dans le bureau de vote n°2, elle a obtenu 202 suffrages sur 319 exprimés. C'est étonnant car, en général, ces électeurs, qui habitent en partie dans des logements sociaux, votent à gauche."
Etonnant, en effet. Symptomatique, surtout, du sentiment d'abandon ressenti dans ces zones rurales où l'absence de cap du gouvernement inquiète et pousse la population dans les bras du Front national, y compris au sein de l'électorat de gauche. Selon les calculs d'Olivier Gombin, chercheur en science politique, 40% des voix de gauche se seraient reportées sur le FN au second tour dans l'Oise.
Une analyse qui sème le trouble au sein du PS, jusqu'à l'Elysée et à Matignon, où elle est remontée. "Bon nombre de nos sympathisants ne sont pas venus voter au second tour. Nous estimons plutôt le report sur le FN entre 5 et 6%", conteste Sylvie Houssin, la candidate socialiste.
Cahuzac, ça n'est que le début, vous verrez...
Tout de même. Qui sont ces électeurs? Pourquoi ont-ils choisi le parti de Marine Le Pen? Ces voix sont-elles définitivement acquises à l'extrême droite? Pour Pierre, c'est une question de principe: "Quand Depardieu est parti en Russie, on les a entendus crier au scandale pendant plusieurs semaines. Là, on s'aperçoit qu'ils ont eux-mêmes des comptes en Suisse. Cahuzac, ça n'est que le début, vous verrez."
Déjà entamée après les premiers mois du gouvernement Ayrault, la confiance semble aujourd'hui brisée. Les mensonges du ministre du Budget, "c'est trop". Par pudeur ou peut-être aussi par fierté, Pierre évoque à peine les mesures qui l'ont touché plus directement. Pourtant, la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires, finit-il par lâcher, mezza voce, ne l'a pas réjoui. Pour payer le crédit de la maison, les 200 euros gagnés en plus certains mois n'étaient pas de trop.
Certes, sa femme travaille comme secrétaire et ils n'ont qu'un enfant à charge. Mais il y a tout de même la nourrice à payer jusqu'à l'entrée du petit à la maternelle. Et puis, le couple se marie cet été. Tout cela occasionne des dépenses. Alors, parfois, Pierre laisse percer son exaspération. Il assène: "Finalement, c'est encore pire que Sarkozy."
Franck*, lui aussi, a basculé aux dernières élections. Maçon de formation, ce fils d'ouvriers a travaillé pendant une vingtaine d'années dans des collectivités locales ou des lycées. Fonctionnaire, il a demandé l'an dernier une mise en disponibilité pour se mettre à son compte. Un pari osé "pour essayer de gagner ma vie correctement". A 46 ans, son salaire plafonnait à 1600 euros net par mois, et son horizon lui paraissait bouché.
Par tradition familiale, il a toujours été fidèle à la gauche: "Même quand il y a eu les histoires de Mitterrand avec Mazarine ou avec l'argent", Franck n'a jamais douté. Aujourd'hui, de la colère dans la voix, il évoque un sentiment de trahison. "Après la période Sarkozy, qui a passé son temps à dépenser notre argent dans des voyages à l'étranger et dans ses jets privés, j'espérais que la gauche allait enfin s'occuper du pays. On en avait bien besoin!"
Ils prennent les Français pour des vaches à lait!
Confiant, Franck a déposé les statuts de son entreprise tout juste après l'élection présidentielle. Puis il s'est lancé dans l'aventure, épaulé par son fils de 15 ans, en contrat d'apprentissage. Le bouche-à-oreille a fonctionné et, depuis quelques mois, il n'a pas chômé. Mais lorsqu'il a découvert le montant de ses charges, en fin d'année, il s'est énervé. "Je n'ai pas compris. D'un côté, ils veulent faire repartir l'économie mais, de l'autre, ils n'aident pas les entrepreneurs."
Manque de cohérence, mauvais choix, le jeune patron ne cache pas son agacement, par exemple, à l'égard de la guerre menée au Mali: "Cet argent-là, ils auraient pu le mettre en France." Ces derniers mois, deux sujets ont gonflé sa colère: l'augmentation de la TVA et les annonces sur les retraites. "Ça avait plutôt bien commencé. Ils avaient baissé leurs salaires, je trouvais qu'on allait dans le bon sens. Mais, aujourd'hui, je me rends compte qu'ils ne pensent qu'à récupérer de l'argent. Ils prennent les Français pour des vaches à lait!"
Du coup, pour lancer un avertissement à François Hollande, lorsqu'il a fallu retourner voter après l'annulation de la législative, Franck n'a pas hésité : il a choisi le bulletin Front national. Sans regret. "Je ne sais pas si, une fois au pouvoir, ce serait mieux, mais je n'ai pas de remords, ce président n'est pas fait pour gouverner. Il n'a pas la carrure."
Place Barbier, dans son bureau de la mairie de Grandvilliers aux murs ornés de plusieurs portraits de Miss Picardie, Jacques Larcher ne cache pas son inquiétude face à la montée du Front national. "Les habitants ont le sentiment que les élites sont coupées des réalités et ne traitent pas les problèmes", analyse-t-il. Cette rupture avec "la France d'en haut", Michel*, professeur de lycée à Beauvais et résident à Grandvilliers depuis vingt ans, l'évoque non sans une pointe d'aigreur: "Le pouvoir est déconnecté. Ils ne se rendent pas compte qu'au-delà de Paris, les bobos n'existent pas."
Electeur de gauche, le quadragénaire père de famille se confie: "Ces onze mois de hollandisme et de mesurettes sont décevants. Qu'en est-il de la mise au pas de la finance et de la régulation des banques?" Comme ses voisins à Grandvilliers, Michel éprouve ces jours-ci un certain dégoût face aux mensonges et à la "trahison des politiques". Mais, aux législatives, lui n'a pas donné sa voix au Front national. Il a préféré glisser dans l'urne un bulletin blanc. En guise de protestation. Un premier avertissement.
* Par souci de confidentialité, les prénoms ont été changés.
Par Libie Cousteau, publié le 20/04/2013 à 10:48 L'Express