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7 Octobre 2023
En s’affirmant comme progressiste, lors de la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron se présentait comme un libéral absolu – ce que Le Monde Diplomatique titra comme « l’extrême-centre ». Par libéral absolu il faut comprendre que Macron disait être libéral à la fois sur les plans économique et politique. En cela, son positionnement était réellement singulier puisqu’il se détachait de Valls ou Fillon qui eux sont libéraux économiquement mais illibéraux (voire franchement conservateurs) politiquement ainsi que de Mélenchon ou Hamon qui, au contraire, se présentaient libéraux politiquement mais hostiles au libéralisme économique. Finalement, en adoptant cette position, l’alors candidat reprenait une vieille antienne du néolibéralisme, celle qui affirme que la libéralisation économique s’accompagne d’une libéralisation politique. En d’autres termes, il s’agit de dire que l’économie de marché est le meilleur vectur de la démocratisation.
Cette fable, c’est bien entendu celle qui a été présentée lors de la chute de l’URSS aux anciennes démocraties populaires. Cette fable, c’est celle qui a fait imposer un peu partout l’économie de marché et le capitalisme néolibéral comme corollaire de la démocratie. En somme, cette fable est sans doute l’antienne la mieux partagée depuis la fameuse et fumeuse théorie de la fin de l’Histoire de Francis Fukuyama. Je crois pour ma part qu’il est urgent de déconstruire cette fable parce que non seulement elle ne décrit pas la réalité des choses mais que surtout, elle est l’inverse de la réalité du néolibéralisme. Toutefois, dans la logique qui le lie à l’autoritarisme, il me semble que nous sommes en train de franchir un de ces seuils qui peuvent précipiter des changements d’envergure, particulièrement en France et cela est très inquiétant.
« N’essayez pas d’avancer pas à pas. Définissez clairement vos objectifs et approchez-vous en par bonds en avant qualitatifs afin que les intérêts catégoriels n’aient pas le temps de se mobiliser et de vous embourber. La vitesse est essentielle, vous n’irez jamais trop vite. Une fois que l’application du programme de réformes commence, ne vous arrêtez plus avant qu’il soit terminé : le feu de vos adversaires perd en précision quand il doit viser une cible qui bouge sans arrêt ». Ces mots, rappelés par Serge Halimi dans Le Monde Diplomatique de ce mois, pourraient être ceux de Macron mais ils sont en réalité issus d’une déclaration de Roger Douglas, artisan d’une cure néolibérale en Nouvelle-Zélande. Dans leur violence simple, ils résument tout l’esprit du néolibéralisme et de son souverain mépris de la démocratie, sa haine même.
Déjà largement théorisée dans La Stratégie du choc de Naomi Klein, la logique qui sous-tend le néolibéralisme est intrinsèquement violente. Derrière l’apparat de la modernité et de la volonté d’agir sous couvert de l’onction du suffrage universel, cette doctrine a la démocratie en horreur. Nous avons vu cette logique se mettre en place lorsque les Etats-Unis ont fomenté divers coup d’Etat en Amérique centrale et en Amérique latine, nous la voyons se mettre en œuvre depuis des années au sein même de l’UE et des pays qui la composent. Ceux-ci n’ont, en effet, eu de cesse de mener des politiques contraires à la volonté des peuples sans évidemment tenir compte de leur avis. Quel symbole plus éclatant de cette logique que les plans d’ajustement structurel – un joli nom pour parler de cure d’austérité néolibérale imposée – mis en place par le FMI aux quatre coins de la planète. Les néolibéraux, loin de répugner à être autoritaire, se doivent de l’être s’ils veulent mettre réellement en place leur doctrine.
Il y a assurément quelque chose d’ironique à voir aujourd’hui les mêmes qui ont mené des politiques inspirées par Reagan et Thatcher fustiger la démocratie et appeler à des modes de gestions plus autoritaires. Qu’ont mis en place ces adorateurs du néolibéralisme sinon des politiques qui visaient à mettre à mal l’Etat, à le réduire à peau de chagrin ? Ils ont tous fait leur l’adage reaganien affirmant que l’Etat, loin d’être la solution aux problèmes, était le principal problème. Ils disaient que la décentralisation était nécessaire, qu’il fallait accorder moins de pouvoir à l’Etat sinon celui-ci nous écraserait et les voilà qui, aujourd’hui, explique avec le même aplomb qu’il faut au contraire un Etat très fort et prennent en modèle Xi Jinping ou Vladimir Poutine.
On pourrait voir dans ce retournement de paradigme une contradiction. Je crois bien plutôt qu’il s’agit d’une continuité. Nous voilà mis en face de la théorie hégélienne de la dialectique qui veut que ce sont les contradictions qui finissent par faire passer un cap. Pendant des années la caste au pouvoir un peu partout sur la planète a gouverné contre les peuples, menant privatisations et destruction des conquis sociaux à toute vitesse tout en profitant de la peur inspirée par la bête immonde, c’est-à-dire le fascisme et l’autoritarisme – Emmanuel Macron l’a emporté en France précisément parce qu’il s’est retrouvé en face de Marine Le Pen. La voilà désormais qui tombe le masque. Maintenant que les peuples ne supportent plus que l’on gouverne contre eux et se reportent sur les partis contestataires, la caste au pouvoir décide qu’il faut désormais brader les idéaux démocratiques pour continuer la curée des biens des différents pays.
Cette ère de la défiance grandissante à l’égard de l’idéal démocratique même n’épargne pas notre pays, loin de là. Il y a quelques jours, Nicolas Sarkozy, dans une conférence à Abu Dhabi, s’est attaqué frontalement à la démocratie en affirmant que celle-ci détruisait tout leadership et qu’elle ne permettait pas d’avoir une vision à long terme des choses. En somme, voilà un ancien président de la République – le même qui affirmait que l’Etat de droit n’était qu’arguties juridiques – qui explique que la démocratie est un poids et que pour mener une politique économique cohérente, l’autoritarisme était la seule solution. Vantant les dirigeants chinois et russe, Monsieur Sarkozy n’hésite plus à dire qu’il faut passer outre la démocratie pour être efficace, le mantra de l’époque.
L’on pourrait se dire qu’il ne s’agit que des élucubrations d’un ancien président grassement payé pour raconter ce que les dirigeants des Emirats Arabes Unis ont envie d’entendre. Je crois pourtant que les idées de Sarkozy sont partagées par l’actuel locataire de l’Elysée. La méthode Macron depuis son arrivée au pouvoir est précisément de court-circuiter les mécanismes de la démocratie représentative en se passant allègrement des corps intermédiaires, en affirmant qu’il fait ce qu’il a dit quand bien même cela serait faut et en faisant le pari de l’opinion assommée par l’ouverture de multiples fronts. Pour le moment, sa stratégie fonctionne il faut bien l’admettre mais pour combien de temps ? En s’attaquant frontalement au droit d’amendement au sein de sa réforme constitutionnelle en même temps qu’à la SNCF – et donc à l’ensemble des services publics – le monarque présidentiel entend faire siennes les préconisations de Monsieur Douglas. Il y a assurément un vent mauvais sur la planète à l’heure actuelle. La Russie ou la Chine ont montré que la démocratie n’était pas nécessaire pour faire avancer l’économie de marché et le néolibéralisme, qu’elle pouvait même être un frein. Assumant pleinement ce constat, nous voyons fleurir un peu partout des modèles de plus en plus autoritaires, y compris dans notre pays. Prenons garde, si nous ne nous levons pas, il y a fort à parier que la fin de l’Histoire soit en réalité une fin de l’idéal démocratique.