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Colonialisme compassionnel

 

 

 

 

L’affaire de l’arche de Zoé restera emblématique de la faillite du nouvel ordre humanitaire. Né il y a quarante ans, le « sans-frontiérisme » poussa un jeune médecin idéaliste, Bernard Kouchner, à mettre ses pas dans le sillage d’Henry Dunand, le fondateur de la Croix-Rouge.

 

La différence entre son illustre prédécesseur et l’actuel ministre des Affaires étrangères est la relative indépendance que la Croix rouge a toujours essayé de maintenir face à la politique. Bernard Kouchner, lui, a prôné la fusion de l’humanitaire, du droit d‘ingérence et d’un Etat interventionniste au nom de la défense des droits de l’homme. Cette confusion entre la morale, l’idéologie et la politique d’Etat allait conduire à la scission de Médecins Sans Frontières, puis à la promotion de ce qu’on a appelé l’intervention « militaro -humanitaire » et, enfin, au soutien à la politique américaine de guerre en Irak ou aux menaces contre l’Iran aujourd’hui. Son dernier avatar est le fiasco de « l’Arche des zozos », comme l’a qualifié ce même Bernard Kouchner. Mais qu’ont-ils fait ces « zozos », sinon appliquer à la lettre ses discours et ceux de « Sauver le Darfour » ou de « Urgence Darfour », gonflés à l’émotion et au pathos ?

Depuis des mois, contre l’avis de toutes les organisations humanitaires qui sont sur le terrain, ils n’ont de cesse de crier au génocide, d’en appeler à une intervention militaire pour ouvrir un corridor humanitaire, de désigner, à l’encontre de toute vérité, les méchants arabo-musulmans contre les pauvres africains. Ces contre-vérités sont pourtant flagrantes : l’immense majorité de la population du Darfour est musulmane et noire, quel que soit son camp. Le Darfour renvoie à une confrontation séculaire entre cultivateurs et nomades, appuyés par le gouvernement soudanais et des milices à ses ordres. Les massacres ont atteint leur point culminant en 2004 : Les chiffres de l’ONU font état d’environ 200 000 morts ; voilà ce que nous savons. Le reste n’est qu’idéologie et instrumentalisation d’une situation dramatique par les néo-conservateurs américains et français.

Comme l’a dit excellemment Rony Brauman, c’est cette manipulation de l’opinion qui a motivé l’aventure folle des Pieds Nickelés de l’arche de Zoé. Eric Breteau, le président de cette association, est un pompier-pyromane qui a su profiter de la vague idéologique autour de l’humanitaire, en appliquant scrupuleusement les leçons de ce nouveau colonialisme compassionnel :

-  le populisme humanitaire. L’appel à sauver des vies par n’importe quel moyen est à la base d’un chantage émotionnel. Si vous ne nous suivez pas dans notre interprétation de la réalité, c’est que vous êtes des complices des génocidaires. Estimant qu’une image vaut 10 000 mots, cet humanitaire des « bons sentiments » croit que la puissance des médias peut s’affranchir des règles de la politique. Du Biafra à la Somalie, l’utilisation de l’émotion a servi de ressort à ce nouvel internationalisme. Avec des enfants aux ventres ballonnés par la faim, avec des « french doctors » le sac de riz sur le dos, une imagerie d’Epinal est née ; On a voulu mobiliser l’indignation des populations occidentales au service de causes qui avaient d’abord des raisons politiques. Certaines pouvaient être justifiées, d’autres pas du tout.

-  une vision du monde occidentalisée, où les pays riches du Nord ont pour fonction d’apporter la civilisation et la démocratie aux barbares du Sud qui s’entretuent sans raison. La conquête des Amériques et le massacre des indiens, la traite négrière, la colonisation, se sont toujours appuyées sur des valeurs humanistes et chrétiennes. Depuis plus de 5OO ans, l’occident a voulu évangéliser, éduquer, moraliser les peuples. Ce sont les mêmes justifications qui, de l’Irak au Soudan, font le lit de ce nouveau colonialisme à connotation faussement humanitaire. A force de crier à la guerre de civilisation, nous y sommes désormais confrontés et, avec l’humanitaire d’Etat, nous sommes obligés de choisir notre camp.

-  le catastrophisme. Les descriptions apocalyptiques qui se succèdent aux journaux du 20h visent à conditionner l’opinion publique. Il y a aujourd’hui 100 morts par mois au Darfour, beaucoup moins qu’en Irak. En Tchetchénie, au Sri-lanka, au Congo, dans toutes les guerres oubliées, on ne connaît pas les chiffres. Ici on les grandit, là on les sous estime. Ce téléthon macabre piège la bonne volonté des donateurs. « L’Arche de Zoé » s’est constituée au moment du Tsunami, pour recueillir des fonds visant à sauver des enfants. Médecins sans frontières dénonçait déjà cet afflux inflationniste d’argent qui ne répondait pas à de réels besoins sur le terrain de l’urgence, là où il y avait besoin d’efforts de reconstruction ou de paix, comme au Sri-Lanka ou en Indonésie. Cet appel à l’urgence permanente, relayé par les médias, produit inéluctablement des dérives.

Je ne mets pas ici en cause la sincérité, la générosité, le courage des milliers de travailleurs humanitaires qui font un boulot formidable sur le terrain et qui représentent les valeurs universelles de solidarité et de fraternité. Ce que je mets en question c’est un certain humanitaire d’Etat qui est aujourd’hui une des armes de la recolonisation politique, militaire, économique, culturelle, du monde. Ce colonialisme compassionnel se construit sur la tyrannie de l’émotion et sur le mensonge. Les aventuriers de l’Arche perdue ont eu un mérite, celui de dévoiler la face cachée de ces nouveaux missionnaires, déguisés en chevaliers blancs de l’humanitaire.

Noël Mamère, le 6 Novembre 2007

P.S : Pour sacrifier à la diplomatie-spectacle, Nicolas Sarkosy n’a pas hésité à embrasser un dictateur qui a du sang sur les mains, symbole de ce qu’il y a de pire dans la « Françafrique ». Loin de la rupture annoncée par le président de la République, nous sommes dans la continuité d’une politique qui nourrit les tyrans et jette en prison ceux qui réclament paix et démocratie. Après le discours de Dakar, la centrale nucléaire livrée à Kadhafi, la visite à Bongo, les tests ADN imposés aux immigrés, voici venues les embrassades à Deby ... la rupture ressemble à une imposture.

Noël Mamère

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D
 <br />  <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Les Français méritent une leçon <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Les Tchadiens en ont assez de cette France qui pourchasse les sans-papiers et se croit au-dessus des lois.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Il est courant que les activités d’organisations non gouvernementales ou d’associations humanitaires soient controversées, presque partout dans le monde. Pour une raison ou pour une autre. Mais jamais un organisme de ce genre n’a suscité autant de désapprobation que L’Arche de Zoé, avec l’opération qui l’a récemment placée sous les projecteurs de l’actualité internationale. Il s’agit de l’affaire des 103 enfants supposés malades ou orphelins du Darfour que l’association devait ramener en France, au profit de certaines familles d’accueil, mais qui a tourné au scandale humanitaire. Le gouvernement du président tchadien Idriss Déby Itno a mis un coup de frein à l’opération dénommée Children Rescue de L’Arche de Zoé sur son territoire, avant d’accuser l’association d’escroquerie et d’enlèvement de mineurs. Elle a beau s’en défendre, mais même en admettant qu’elle était de bonne foi, l’association s’y est mal prise sur un sujet et un terrain aussi sensibles. Que ce soit le gouvernement français ou l’UNICEF, toutes les voix qui se sont élevées ont qualifié d’irresponsable et d’illégale l’opération en question, montrant ainsi un parfait accord avec le gouvernement de la république du Tchad. D’ailleurs, les ONG qui travaillent dans l’est du Tchad se sont désolidarisées de L’Arche de Zoé. A N’Djamena, comme partout ailleurs en Afrique, ce qui a le plus choqué, c’est moins l’intention, certes louable, de vouloir sauver des enfants par des méthodes peu recommandables que le fait d’avoir pris de l’argent à des familles d’accueil pour cela. Une méthode qui ressemble fort étrangement au phénomène des “Vidomégon” (enfants placés) très connu au Bénin et dans bien d’autres pays d’Afrique, et vivement combattu par les gouvernements au moyen d’une politique transfrontalière. Le scandale humanitaire provoqué par L’Arche de Zoé n’a fait que raviver le sentiment antifrançais au Tchad et en Afrique de manière générale. Après le scandale de la récente loi sur l’immigration en France, les Africains en sont à se demander comment ceux qui, sous divers prétextes, rechignent à octroyer des visas d’entrée dans leur pays à des Africains, ceux qui décident de regroupements familiaux par ADN interposé sont encore capables de venir chercher des enfants africains sans que l’on sache réellement à quoi ils seront destinés. Certains ironisent en disant que l’affaire de L’Arche de Zoé au Tchad est, de loin, plus grave que celle des sans-papiers en France. On a beau trouver que le président Idriss Déby Itno l’a récupéré politiquement, il n’en demeure pas moins vrai que, dans le contexte géopolitique de la région aujourd’hui, la démarche de L’Arche de Zoé paraît alambiquée et pèche sur plusieurs points. Pour Amely James Koh Bela, présidente de l’association Mayina, “ils ont dû travailler avec des intermédiaires douteux qui ont enlevé les enfants. On ne peut pas dire que L’Arche de Zoé soit impliquée dans le trafic d’enfants. Eric Breteau, le président de cette association, a pensé agir pour le bien des enfants, ça ne fait aucun doute.” En tout cas, après la libération des journalistes qui couvraient l’opération, ainsi que des hôtesses de l’air espagnoles, grâce à l’intervention du président français, Nicolas Sarkozy, et la mobilisation de la presse à l’échelle internationale, les autres membres de l’équipage et de l’association française devraient répondre des chefs d’accusation pesant sur eux. Sauf dénouement extraordinaire. Beaucoup d’Africains qui ne se sont pas encore remis du vote de la récente loi sur l’immigration en France sont plutôt favorables à ce que la procédure judiciaire engagée à N’Djamena aille jusqu’au bout. Ce serait une façon comme une autre de montrer aux Occidentaux que les choses, dorénavant, ont changé en Afrique. Que n’importe qui, sous n’importe quel prétexte, ne peut plus se permettre d’agir selon son bon vouloir – et encore moins sortir en masse des enfants d’un pays en violant la législation en vigueur. En tout état de cause, selon cette dernière, les inculpés de l’affaire de L’Arche de Zoé encourent des peines de vingt ans de travaux forcés. De quoi faire réfléchir tout membre d’une association humanitaire, avant de s’engager dans une quelconque opération sur le sol africain. <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Serge-Félix N’PiénikouaNotre Temps<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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