6 Octobre 2023
L'offensive contre les activistes proches des Soulèvements de la Terre ne s’est pas arrêtée à la dissolution du mouvement par le gouvernement le 21 juin (ils vont la contester devant le Conseil d’État). Une trentaine de personnes avaient été interpellées et placées en garde à vue début juin et durant la semaine du 20 juin dans l’enquête sur l’action contre la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air fin 2022 et dans celles sur des rassemblements contre les mégabassines de fin 2022 et de Sainte-Soline en mars 2023.
Les motifs d’interpellation vont d’« organisation de manifestation illégale » pour les cortèges contre les mégabassines à Sainte-Soline en octobre 2022 et mars 2023 à « dégradations en bande organisée » et « association de malfaiteurs » pour l’action à l’usine du cimentier Lafarge de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône) en décembre 2022.
Deux personnes ont été déférées en comparution immédiate. L’une a été condamnée à dix mois de prison ferme. L’autre, Loïc Schneider, est en détention préventive d’ici à son procès, le 27 juillet. Il risque sept ans de prison. Les autres personnes interpellées à ce moment-là sont ressorties libres de toute poursuite après des gardes à vue qui ont pu durer jusqu’à 96 heures.
Toutefois, deux personnes ont par la suite été convoquées par le juge d’instruction à Aix-en-Provence le 11 juillet, au sujet de l’action dans la cimenterie Lafarge. Elles ont été mises en examen pour « dégradations en bande organisée » et « association de malfaiteurs ». L’une d’entre elles, Yoan Jäger-Stuhl, est photojournaliste et couvrait l’action contre l’usine Lafarge. Il avait en amont de sa mise en examen subi une garde à vue de 55 heures .
Le Syndicat national des journalistes a dénoncé cette mise en examen. « Dans les faits, ce reporter photographe a suivi les militants pour un travail journalistique diffusé ensuite dans plusieurs médias dont Libération, souligne le SNJ dans un communiqué. Le SNJ rappelle qu’un journaliste ne doit pas être assimilé à un militant alors qu’il est présent dans le but de rendre compte. »
Plusieurs convocations à se présenter en gendarmerie ont aussi été adressées à huit personnes – représentants syndicaux et associatifs mais aussi militants des Soulèvements de la Terre – le 28 juin. Sept d’entre elles seront jugées devant le tribunal correctionnel de Niort le 8 septembre prochain pour l’organisation des manifestations du 29 octobre 2022 et du 25 mars 2023 à Sainte-Soline.
« Qualification fourre-tout de “bande organisée” »
Dans l’ensemble de ces affaires, Claire Dujardin, avocate au barreau de Toulouse et présidente du Syndicat des avocats de France, voit un recours à un « droit pénal d’exception ». « La qualification fourre-tout de “bande organisée” permet d’avoir recours à une garde à vue de 96 heures parce qu’elle fait rentrer la procédure dans le droit pénal d’exception, détaille l’avocate. C’est une dérive. Les enquêteurs savent très bien que cette circonstance ne tiendra pas en fin de procédure. Leur véritable objectif est d’avoir accès aux moyens du renseignement pour l’enquête. »
« Il existe une volonté ferme de criminalisation du mouvement social, affirme aussi Julie Gonidec, avocate au barreau de Marseille et membre du Collectif action judiciaire, un groupe d’avocat·es militant·es. Gérald Darmanin [ministre de l’Intérieur] n’a eu de cesse d’employer des termes comme “terrorisme intellectuel d’extrême gauche” ou “écoterrorisme”. Ça contribue à un climat général de répression. »
Avec l’extension des critères de dissolution d’associations ou groupements de fait, « c’est la superposition de divers dispositifs, comme la loi “Séparatisme” par exemple, qui amène à une offensive contre les militants et d’importants secteurs de la population, à commencer par les quartiers populaires », s’inquiète en écho Julie Gonidec.
Dans le Code pénal actuel, la définition des actes de terrorisme intègre notamment les « destructions, dégradations et détériorations » sans plus de précisions sur leur nature, si ce n’est qu’elles doivent être « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». La qualification de terrorisme avait été utilisée contre les activistes en cause dans l’affaire de Tarnac, avant que tous les prévenus ne soient relaxés à l’issue du procès.
Une volonté d’affichage politique »
« Il n’y a même plus besoin de recourir à cette qualification du terrorisme, comme dans l’affaire de Tarnac », explique Claire Dujardin. « Le recours à la notion de “bande organisée”, un terme très large, focalisé sur la dangerosité et les actions de préparation en vue d’une action, suffit aujourd’hui pour dérouler des moyens de surveillance et de répression. »
D’autres procès de militants sont à venir. Le 27 juillet, trois personnes dont le maraîcher actuellement en détention préventive Loïc Schneider seront jugées devant le tribunal correctionnel de Niort au sujet du rassemblement de Sainte-Soline le 25 mars 2023. Trois autres personnes seront ensuite jugées le 21 septembre, toujours à Niort et toujours en lien avec Sainte-Soline.
Pour Julie Gonidec, ces procès révèlent surtout « une volonté d’affichage politique ». L’avocate toulousaine Claire Dujardin rappelle aussi l’impact humain des procédures : « Cette judiciarisation par défaut est dramatique et extrêmement grave. Cela a des conséquences concrètes sur la vie de personnes qui se retrouvent privées de liberté, en détention ou sous contrôle judiciaire, alors que le dossier est le plus souvent vide ».
Nils Hollenstein