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Jean-Luc Mélenchon : « On va trouver un pays dévasté en 2022 »

France Insoumise Jean-Luc Mélenchon Présidentielle 2020
A la veille d’un meeting numérique de campagne, le candidat de La France insoumise a répondu aux questions de 20 Minutes sur sa stratégie pour 2022, le coronavirus, et la crise économique.

Pourquoi organisez-vous ce meeting numérique maintenant ?

La démocratie ne doit pas être mise entre parenthèses par la pandémie. Nous vivons un moment d’intense politique. Qui prend les décisions ? Pourquoi rouvrir ceci et pas cela ? Pourquoi n’y a-t-il pas assez de lits d’hôpital ? Les gens ont la tête dans ces questions politiques ! C’est le moment d’intervenir.

Les grandes réunions publiques restent impossibles. Est-ce un handicap pour vous ?

Oui. Mais à nous de dépasser ces difficultés. Le meeting numérique essaye de répondre à cette question : comment se rassembler et communiquer le sentiment de la force ? Nous avons besoin de ces temps collectifs. Pour notre famille, populaire, celle des têtes dures, des rebelles souvent isolés au repas du dimanche, c’est un condiment extrêmement important. En avril, on avait organisé un meeting numérique. Là, ce sera un meeting en réalité augmentée : des choses apparaîtront, disparaîtront… Nous avons déjà été précurseurs sur plusieurs technologies, comme le meeting en hologramme. Ce meeting en réalité augmentée sera aussi une première mondiale !

Olivier Faure, premier secrétaire du PS, a proposé mardi un « contrat de coalition » aux autres formations de gauche afin de « créer les conditions d’un projet commun » pour la présidentielle de 2022. Que répondez-vous ?

Je n’ai rien compris ! Les socialistes continuent de penser que c’est par eux que tout doit passer. Mais la situation a changé. Même si nous ne sommes pas aussi forts que nous l’aurions souhaité, nous avons une forme de centralité. Nous avons un programme, L’Avenir en commun. Est-ce que les socialistes admettent qu’il existe ? Sommes-nous à leurs yeux une force ou un bagage accompagné ? L’union n’est pas un programme. Nous avons de sérieuses divergences. La gauche traditionnelle s’est effondrée car le PS a fait le choix du social-libéralisme. Aujourd’hui, y a-t-il renoncé ?

Les socialistes veulent donner l’impression qu’ils sont très unitaires et que les autres ne le sont pas, moi en particulier. J’ai au contraire proposé à deux reprises de faire une fédération populaire. Pour seule réponse, je n’ai eu que des injures. Ce n’est pas en nous maltraitant ou en nous insultant comme l’a fait Olivier Faure, qui, à mes yeux, est difficilement un partenaire de dialogue, que nous pourrons avancer. Notre sujet, ce n’est pas le PS, c’est le peuple qu’il a dégoûté de la gauche.

Vous ne participerez donc pas à la « primaire des idées » pour converger vers un programme commun ?

C’est une idée ridicule. Qu’est ce que ça veut dire, une « primaire des idées » ? Un congrès à ciel ouvert ? A quoi sert le PS si n’importe quel passant dans la rue peut fixer son programme ? Les idées, il faut les prendre au sérieux. Il s’agit de sortir d’une des plus graves crises de l’histoire de France. La VIe République, la planification écologique : ils sont d’accord ? Sur l’Europe, ont-ils compris qu’il faut sortir des traités pour construire quoi que ce soit de social en Europe ? Oui ou non ? Sont-ils comme nous favorables à une défense française indépendante et à la sortie de l’Otan ? Le sujet, c’est l’avenir de notre pays. Pas celui de nos logos.

Pourtant, beaucoup estiment que la multiplication des candidatures pourrait mener à l’élimination de la gauche au premier tour…

Ah bon ? Regardez les sondages, avec une seule candidature, il y a une déperdition de voix considérable [par rapport à l’addition des scores de plusieurs candidats, selon ce sondage Ifop]. D’ailleurs, il n’y a eu que deux cas avec une candidature commune d’une partie de la gauche : 1965 et 1974. Sans succès. En 1981, il y avait un candidat socialiste, un communiste à 16 %, un radical, un écolo… et François Mitterrand a été élu. Les socialistes continuent de miser sur une martingale : « Nous n’avons pas d’idées, pas de parti, nous ne nous supportons pas entre nous, mais du moment que nous aurions le masque de l’union, alors nous serions sûrs de gagner ». Ça n’existe plus ! Ce qui s’est appelé la gauche pendant un siècle et demi est entièrement à reconstruire. Pas à partir d’une soupe aux logos, mais avec des contenus, des ruptures à opérer. Il s’agit de ramener aux urnes des millions de gens désespérés.

Comment alors élargir votre base électorale ? Vous avez souligné des convergences avec Arnaud Montebourg, et avec certains écologistes, comme Eric Piolle. N’avez-vous pas intérêt à les faire venir dans votre campagne ?

J’espère bien convaincre en chemin. J’observe déjà que nos idées avancent. Sur l’annulation de la dette publique, il y a maintenant aussi Arnaud Montebourg. Sur les violences policières, beaucoup de pleutres étaient cachés sous la table quand on tabassait les « gilets jaunes ». A présent, beaucoup comprennent le risque du fossé qui se creuse entre la police et la population. J’insiste. Il s’agit de construire une majorité d’adhésion à un programme. Si on recommence une campagne « tout sauf Macron ou Le Pen », on n’ira nulle part.

En 2022, on va trouver un pays dévasté. Il y aura peut-être 8 à 10 millions de chômeurs dans le pays. L’industrie peut s’effondrer. Les petits commerces sombrent. Que fait-on ? J’ai proposé de remonter toutes les dettes des commerces dans une caisse centrale et d’aller les négocier à la Banque centrale européenne. Personne ne pourra jamais payer une dette pareille. Et si on emprunte encore pour rembourser, le jour où les taux d’intérêt remontent, c’est l’abîme.

Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé qu’on en aurait pour 20 ans pour payer « la dette Covid », misant sur la croissance, la « responsabilité sur les finances publiques », et « les réformes de structure », dont celle des retraites…

Bref, tout ce qui n’a pas marché depuis trente ans ! Et il faudrait encore 20 ou 30 ans pour rembourser les six derniers mois ? Mais où est passé l’argent donné aux grandes entreprises ? Sur dix ans, le niveau de l’investissement [des entreprises] a baissé de 5 %, celui des dividendes a augmenté de 70 %. C’est la preuve que leur poudre de perlimpinpin ne marche pas !

Relocalisation, souveraineté dans le domaine de la santé, hausse des dépenses publiques, prime pour les travailleurs précaires… Depuis le début de la crise, Emmanuel Macron fait-il du Mélenchon ?

Devant l’énormité du défi, il a fallu qu’Emmanuel Macron réponde à quelque chose que les Français exprimaient assez spontanément : que fait l’Etat ? Il a utilisé un vocabulaire qui n’était pas le sien : « La santé doit sortir du domaine du marché », « nous ferons face quoi qu’il en coûte ». Mais il n’a aucune culture ni de l’Etat ni de la planification. Donc il saupoudre d’argent public. Sans vision d’ensemble. Des milliards pour l’automobile ? pourtant à peine 17 % des automobiles vendues sont fabriquées en France. Pareil pour l’aéronautique, pas un milligramme de réflexion sur les mutations qu’il faudrait introduire dans le secteur.

Pour autant, l’évolution du vocabulaire facilite notre travail. Nous paraissons moins extraterrestres qu’en 2017. Ils ont créé un commissariat au plan, j’en suis très content, même s’il ne fait rien, au moins le nom existe. Quand je parle de planification, plus personne ne s’évanouit dans la salle.

Vous avez dit que le gouvernement a « enfanté un monstre » avec la proposition de loi sur la « sécurité globale », votée mardi. Porte-t-il une responsabilité dans les violences survenues ces derniers jours ?

Sa responsabilité est totale. Le régime est devenu autoritaire et il y a eu un franchissement de seuil ces jours derniers, avec la loi « sécurité globale ». La violence policière devient la règle, comme place de la République lundi soir. Aujourd’hui, en interdisant de filmer les policiers [la proposition de loi vise à réprimer la diffusion malveillante d’images], le gouvernement favorise et encourage des comportements racistes ou violents qui ne pourront plus être connus du public. Une reprise en main républicaine de la police s’impose ! Cela passe par le remplacement de l’IGPN, pseudo-organisme de contrôle, par un collège de personnalités qualifiées hors de la police, comme au Royaume-Uni. Il faut rallonger le cycle de formation des policiers, élever le niveau d’exigence au concours de recrutement.

Samedi débute la première étape d’un déconfinement progressif présenté mardi par Emmanuel Macron. Est-ce la bonne stratégie ?

On va voir. Cette fois, il corrèle le déconfinement à un niveau de contamination [5.000 nouveaux cas par jour pour lever le confinement le 15 décembre], c’est un progrès. Les épidémiologistes et l’OMS nous disent qu’il peut y avoir une troisième et une quatrième vague. Or on ne pourra pas reconfiner et déconfiner sans cesse notre pays. Il est temps de proposer des alternatives au confinement. Nous avons donc présenté un plan. On peut, grâce à des roulements, décongestionner les moments de concentration de population au lycée, au collège, dans les transports en commun…

Vous avez souvent critiqué l’opacité de la gestion de cette crise par l’exécutif…

La monarchie présidentielle et son caractère autoritaire se sont renforcés comme jamais. Les décisions sont prises en Conseil de défense, qui agit sous le sceau du secret-défense. Il ne devrait pourtant pas s’occuper de crise sanitaire. L’exécutif a peur, désormais, avec toutes ces plaintes déposées contre lui et cette procédure judiciaire en cours. Il se cache pour décider.

Emmanuel Macron a annoncé la création d’un collectif citoyen de suivi de la vaccination, qu’en pensez-vous ?

Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Il n’y a pas des institutions ? Une Assemblée, un Sénat, un Cese [Conseil économique, social et environnemental] ? Rien ne marche ? Alors il faut changer la Constitution !

C’est du gadget ?

Evidemment. De toute façon, il s’en moque. La preuve, la Convention citoyenne sur le climat, il n’en a tenu aucun compte.

Sur l’isolement obligatoire des personnes contaminées, il y aura un débat parlementaire.

J’y participerai. Mais je doute qu’en France un isolement obligatoire soit bien accepté. L’autorité de l’Etat est tellement dégradée. Si on pense que les Français n’accepteront pas l’isolement contraint, à quoi bon leur imposer ? Souvent, il vaut mieux essayer de convaincre plutôt que réprimer.

Anne Hidalgo a affirmé qu’elle « ne se retrouvait pas » dans votre candidature, parce que vous auriez selon elle « des ambiguïtés avec [le] cadre » républicain. Que lui répondez-vous ?

Elle a le droit. Mais ses propos à mon égard ou contre EELV sont odieux. C’est Monsieur Faure qui a trouvé le premier cette expression d'« ambiguïté sur la République ». C’est juste vague et fielleux. Comment dialoguer sur des insinuations ? Le débat public n’y gagne rien. Le PS contribue à pourrir l’atmosphère en répandant ce genre de soupçons sans objet. Est-ce que la République et la laïcité sont déjà si fortes qu’on puisse leur inventer des ennemis qui n’existent pas, comme nous ?

Vous avez annoncé des mesures sur la laïcité, lesquelles ?

La loi de 1905 doit être appliquée en Alsace et en Moselle, en mettant fin au Concordat : je ne suis pas d’accord avec le fait que la République y rémunère les prêtres, les pasteurs et les rabbins. De la même manière, la loi Charles X en Guyane doit être abrogée. Est-il normal d’avoir 500 communes en France où il y a une école privée, mais pas d’école publique ? Pour que la laïcité soit forte, il faut qu’elle assume ce qu’elle est en tout lieu du territoire.

Emmanuel Macron souhaite mieux encadrer l’islam en France, notamment avec la formation des imams. Y êtes-vous favorable ?

Si ça vaut pour l’islam, ça vaut pour les autres religions ? Dans quel engrenage met-on le doigt ? L’Etat va organiser les religions ? Il faut s’en tenir à ce qui existe. Les musulmans de France sont capables de s’auto-réguler. Pourquoi l’Etat irait-il expliquer comment doit fonctionner l’islam ? Et puis quoi encore ? Un catholicisme, un judaïsme d’Etat qui changerait d’une élection a l’autre ? L’Etat ne se mêle pas de religion, point. L’unité du peuple et de la nation, la liberté de conscience sont à ce prix.

 

 

 

 

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