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1 Juillet 2019
« Je suis payée pour être vos yeux et vos oreilles là où vous ne pouvez être. Est-ce ma faute si la réalité que je rapporte va à l’encontre de certains agendas politiques ? » Caroline Bourgeret, janvier 2013.
Le coup de gueule d’une journaliste française
Caroline Bourgeret, correspondante de TV5 au Liban, est à Gaza lors de l’opération Pilier de défense. Dans ses reportages, notamment pour la RTBF, elle relate le quotidien des habitants sous les bombes. A côté des messages d’encouragement, elle reçoit de nombreuses critiques virulentes. Elle décide alors de riposter dans un long article[1] : « Mes détracteurs me demandent de donner de « vraies informations » sur Gaza. Mais qu’est-ce que ça veut dire de « vraies informations » ? Je n’ai pas menti, je n’ai pas inventé. Si la description de la vie à Gaza est si accablante pour Israël, qu’y puis-je ? Devrais-je modifier la réalité pour leur faire plaisir ? Pour qu’une partie du monde occidental entende ce qu’elle a envie d’entendre ? »
Dans le même élan, elle s’insurge aussi contre le silence des médias sur l’assassinat de deux journalistes palestiniens travaillant pour une TV proche du Hamas et taxés pour cette raison de « non légitimes » par les autorités israéliennes.
Cette jeune journaliste pose les bonnes questions : que signifie « vraies informations » et qu’est-ce qu’un vrai journaliste, un journaliste « légitime » ? Des questions que bien sûr d’autres ont déjà posées avant elle (Denis Sieffert, Jonathan Cook,…) mais qui restent toujours d’une brûlante actualité quand on parle d’Israël et de la Palestine.
La sourde oreille des grands médias
La plupart des médias dominants s’en tiennent à une pseudo-équidistance qui fait qu’on interviewe complaisamment le porte-parole israélien mais qu’on rapporte encadrés par des guillemets ce que déclare la partie palestinienne. Qu’on met la mort d’un enfant à Gaza sur le même pied que le stress d’un enfant à Sderot, qui nous donne à croire que les Qassams sont des missiles, etc. De trop nombreux journalistes non spécialistes du Moyen-Orient s’en tiennent aux informations fournies par les autorités israéliennes. On a entendu à peu près partout, comme une antienne, qu’Israël avait riposté aux incessants tirs de roquettes du Hamas et qu’il avait le droit de se défendre. Le quidam a pu ainsi imaginer que c’était une puissance étrangère surarmée qui attaquait Israël. Par la suite, rares sont les journalistes qui n’ont pas également adopté la narration israélienne : c’est ainsi que les 15 militants palestiniens éliminés fin octobre et l’enfant de 13 ans tué lors d’une incursion sont tout simplement ignorés. Lors de l’assassinat d’Ahmed Jabari, les médias dominants ont « oublié » de dire qu’il était sur le point de signer un accord de cessez-le-feu avec Israël. Pourtant, dès le lendemain, Gershon Baskin l’expliquait lui-même dans le Haaretz. C’est pourquoi une série de personnalités, dont Noam Chomsky, ont dénoncé, exemples à l’appui, « La sourde oreille des grands médias sur la situation à Gaza » (www.acrimed.org). Ces personnalités mettent en évidence le vide d’informations au début de l’opération Pilier de défense, la narration biaisée par la suite, l’absence quasi totale de références à la souffrance des populations civiles et la censure sur les photos de victimes.
Obstruction à la liberté d’information
Si Israël a laissé, cette fois, les journalistes étrangers entrer dans la bande de Gaza, il n’hésite pas pour autant à les intimider: le 21 novembre, une bombe explosait devant le Beach Hotel où la plupart d’entre eux sont descendus… Auparavant, des bâtiments connus pour abriter des bureaux de médias ont été la cible de missiles. Quant l’immeuble qui abritait notamment les bureaux de l’AFP a été visé, l’armée a twitté que c’était « un QG du renseignement du Hamas. » Le porte-parole de l’armée n’avait–il pas lancé un avertissement ?: “Journalistes à Gaza: restez à l’écart des terroristes/infrastructures du Hamas. N’acceptez pas de leur servir de boucliers humains“. En résumé, dans son bureau comme sur le terrain, pour peu qu’il soit à proximité d’un Palestinien jugé du Hamas, un journaliste à Gaza est en danger. Comme le souligne Reporters sans frontières dans un communiqué de condamnation, « ces attaques représentent une obstruction à la liberté de l’information. »
Quant aux journalistes israéliens, Gideon Levy déclare qu’ils sont tout simplement des conscrits de la propagande (To Gaza I did not go, Haaretz, 22 novembre 2012). En effet, interdits d’entrée à Gaza, ils ne protestent pas et n’ont pas cherché pas à se rendre sur place pour informer leur public. Pour Suleiman Al-Shafi, son collègue de la chaîne 2, l’armée cherche à contrôler les médias pour mieux faire passer “sa” vérité. Les journalistes israéliens travaillent donc sur Gaza à distance (téléphone, dépêches, correspondants palestiniens) quand ils ne se comportent pas comme si Gaza n’existait pas. (Benjamin BARTHE, Gaza, terre fantôme des médias israéliens)
Des journalistes illégitimes
Interrogé après l’attaque d’un bâtiment hébergeant des médias palestiniens et étrangers[2] qui fit 8 blessés (dont un journaliste palestinien qui y a perdu une jambe), Mark Regev, porte-parole israélien, donne sa définition du journaliste: « (…) Il y a la station Al-Aqsa, une station dirigée et contrôlée par le Hamas. Exactement comme dans d’autres régimes totalitaires, les médias y sont utilisés par le régime pour diriger et contrôler ave,c en plus, des objectifs sécuritaires. De notre point de vue, ce (=la personne qui y travaille)n’est pas un journaliste légitime, comme un journaliste d’Al-Jazeera ou de la BBC… » La porte-parole de l’armée, Avital Leibovitch, est plus claire encore: « Ces terroristes avec des caméras et des notebooks en mains ne sont pas différents de leurs collègues qui tirent des rockets sur les villes israéliennes. Ils ne peuvent pas bénéficier des droits et de la protection conférés aux journalistes légitimes.» (www.electronicintifada.org, Human Watch: Israel’s justifications for killing journalists are “evidence of war crimes”)
Pour Israël, les journalistes palestiniens sont donc « tuables à merci » du seul fait de travailler pour un média du (ou proche du) Hamas ou du Jihad islamique. Pour Human Right Watch (Unlawful Israeli attacks on Palestinian Media, novembre 2012), il s’agit là purement et simplement de « crimes de guerre », l’intention de tuer étant manifeste.
Crimes de guerre, entraves à la liberté d’information. A Gaza et en Cisjordanie. A voir : l’excellent film Five Broken Cameras. La propagande ment toujours. Voilà pourquoi Israël s’attaque aux journalistes.
Marianne Blume