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L’Afghanistan ne croit pas à la paix

Le départ de la quasi-totalité des troupes américaines et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) d’ici au 31 décembre 2014 marque la fin d’une intervention commencée il y a treize ans, au lendemain du 11-Septembre. Aucun des objectifs proclamés par Washington n’a été atteint : ni la démocratie ni la stabilité. Et les talibans menacent le fragile pouvoir installé à Kaboul.

 

« La paix est notre ambition nationale. Si faire la paix en Afghanistan était une tâche facile, elle aurait été accomplie depuis longtemps. » Ainsi s’exprimait le nouveau président afghan Ashraf Ghani au cours d’une conférence de presse tenue à Kaboul le 1er novembre 2014, à son retour d’un voyage en Chine. Cet objectif semble, en effet, plus éloigné que jamais.

Son prédécesseur, M. Hamid Karzaï, s’était détourné de ses principaux soutiens et alliés occidentaux quand ceux-ci, et notamment Washington, ne l’avaient que mollement soutenu face aux accusations de fraude à grande échelle ayant entaché le scrutin présidentiel de 2009. Il ne s’était jamais réconcilié avec le président Barack Obama et ne faisait plus confiance aux Etats-Unis pour mener à bien les pourparlers de paix avec les talibans. Il avait donc décidé de négocier directement avec ces derniers, sans associer Washington. M. Karzaï était persuadé qu’il n’y avait qu’un moyen de résoudre le problème du terrorisme et des activités insurrectionnelles : débarrasser le pays des troupes étrangères et s’entendre avec les talibans sans intermédiaires. Ses efforts en vue d’un accord de paix avec ses « chers frères », comme il appelait les talibans, se sont poursuivis jusqu’au dernier jour de sa mandature, le 29 septembre 2014, mais sans résultat significatif.

Le président Ghani ne semble pas non plus vouloir des Etats-Unis pour relancer les pourparlers avec les talibans. Si, dans sa recherche de médiateurs, M. Karzaï avait joué la carte du Qatar, son successeur préfère faire appel à l’Arabie saoudite et à la Chine. A la suite de son voyage à Pékin, il a affirmé que les dirigeants chinois, forts de leurs relations avec le Pakistan, pouvaient servir d’intermédiaires avec ce pays qui sert de base arrière aux talibans (1) et faciliter les négociations avec l’organisation du mollah Omar, à l’heure où les troupes étrangères se retirent.

Signe des temps, les riches s’enfuient

Dans la province de Helmand, où les combats ont été particulièrement rudes ces dernières années, le God Save the Queen a retenti, le 26 octobre, pour marquer la remise aux Afghans du camp Bastion. Les couleurs du Royaume-Uni ont été amenées et pliées pour la dernière fois, symbolisant la fin de la présence britannique. Ce ne sont pas seulement les troupes britanniques qui auront quitté le pays avant la fin de l’année, mais toutes les forces occidentales, à l’exception d’un contingent américain.

C’est précisément ce moment qu’attendent les talibans. Ils comptent profiter du retrait et de la faiblesse des forces locales pour lancer une nouvelle et puissante offensive contre le gouvernement central, alors que la qualité des troupes afghanes est sérieusement mise en doute. Au cours des treize dernières années, de nombreux cadres militaires parmi les plus qualifiés et les plus influents ont été assassinés. Les talibans ont consciencieusement éliminé les moudjahidins les plus aguerris, notamment ceux provenant de l’Alliance du Nord. De son vrai nom Front national islamique et uni pour le salut de l’Afghanistan, celle-ci a combattu le régime des talibans de la prise de Kaboul en 1996 jusqu’à sa chute en septembre-octobre 2001. Influente dans plusieurs minorités, notamment tadjikes, elle a joué un rôle important au début de la transition, avant d’être marginalisée par M. Karzaï au profit des Pachtounes (2). Parmi les survivants de l’organisation, beaucoup se consacrent désormais à leurs ambitions personnelles ou s’apprêtent à prendre leur retraite. En conséquence, il ne reste plus assez d’hommes d’expérience pour unifier les forces armées.

A Kaboul, la plupart des Afghans ordinaires rencontrés ne croient pas que les militaires puissent assurer leur protection. Haydar, âgé de 37 ans, est employé de bureau et gagne environ 160 euros par mois pour nourrir sa femme et ses trois enfants. « Les riches peuvent partir, se plaint-il, mais nous, nous n’avons nulle part où aller. Nous n’avons pas d’armes et nous ne pourrons pas nous battre si les talibans reviennent. » Il a combattu naguère contre eux dans le Nord. « Les choses ont beaucoup évolué au cours des treize dernières années et nous ne voulons pas reprendre la lutte. Je suis marié, j’ai fondé une famille et je veux la paix. Mais après ces élections truquées et le départ des troupes étrangères, l’idée de paix paraît irréelle. »

Si, pour les Occidentaux, la guerre est terminée, il n’en est rien pour les Afghans. Les mois de septembre et d’octobre ont été très meurtriers, et l’on s’attend à ce que la liste des victimes s’allonge. Dès la fin de l’année, les troupes afghanes ne seront plus appuyées par celles de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), ni au sol ni dans les airs. Les Afghans devront se défendre seuls. Sans armement lourd et sans capacité aérienne, il est douteux qu’ils soient à même de prendre en charge la sécurité de leur pays.

Car, malgré des milliards de dollars dépensés et la mort de deux mille trois cent quarante-neuf de leurs soldats, les Etats-Unis ont échoué à établir la paix et la démocratie. Le bilan des Afghans tués est lourd, même s’il est très difficile d’obtenir des chiffres précis : sans doute des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de réfugiés. Le commandement américain a estimé qu’entre sept mille et neuf mille soldats ou policiers ont été tués ou blessés en 2014. Et, d’après le décompte de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan, mille cinq cent soixante-quatre civils ont trouvé la mort au cours du premier semestre 2014.

Depuis le début de la « guerre contre le terrorisme », en 2001, la mission américaine poursuivait deux objectifs. D’une part, combattre Al-Qaida, les talibans et les rebelles tout en aidant à la reconstruction du pays. D’autre part, suivre de près la situation politique en ramenant à la raison les « seigneurs de guerre » dissidents et autres dirigeants influents, afin de stabiliser la situation interne.

L’élection présidentielle à deux tours (5 avril et 14 juin 2014) a été, une nouvelle fois, caractérisée par des fraudes massives, dénoncées par tous les observateurs internationaux. Une paralysie politique de trois mois s’est ensuivie, qui a mené le pays au bord de la guerre civile. Contre toute attente, M. Ghani était annoncé vainqueur, ce que contestait son adversaire, M. Abdullah Abdullah. A ce moment si critique, le président Obama n’a trouvé qu’un pis-aller : cette démocratie fêlée, sur le point de tomber en mille morceaux, a été rafistolée par des médiateurs américains pour permettre le retrait des troupes à la fin de l’année.

La solution a été d’obtenir une forme de partage du pouvoir. Après deux visites du secrétaire d’Etat John Kerry, quelques appels téléphoniques du président Obama et les efforts intensifs de l’ambassadeur américain à Kaboul, un accord a été entériné par les candidats rivaux : M. Ghani a été proclamé président tandis que M. Abdullah était nommé « chef de l’exécutif » au sein du nouveau gouvernement, une fonction qui n’existe pas dans la Constitution et dont les attributions sont floues. Cet accord est très fragile. A la veille même des cérémonies d’investiture, une querelle a éclaté entre les deux hommes sur la répartition des bureaux, et M. Abdullah a menacé de ne pas y prendre part. Il sera dur de maintenir l’entente pendant cinq longues années.

M. Abdullah est connu dans tout le pays pour avoir combattu les talibans aux côtés d’Ahmed Chah Massoud, commandant de l’Alliance du Nord jusqu’à son assassinat le 9 septembre 2001 par Al-Qaida. Homme politique d’envergure nationale, il fut ministre des affaires étrangères pendant la présidence Karzaï. Il entretient de bonnes relations avec la majorité des tribus et des groupes ethniques, qui le soutiennent et lui font confiance. La famille de son père est pachtoune (de la ville de Kandahar), sa mère, tadjike. Il a toujours vécu en Afghanistan.

M. Ghani appartient à la principale ethnie du pays, les Pachtounes, mais il a surtout vécu en Occident. Bien qu’il ait été ministre des finances de M. Karzaï, il est demeuré inconnu de la plupart des Afghans jusqu’au second tour de l’élection. En revanche, il jouit d’une certaine notoriété à l’étranger en tant qu’ancien collaborateur de la Banque mondiale et candidat malheureux au poste de secrétaire général des Nations unies pour succéder à M. Kofi Annan.

Ces deux anciens rivaux sont donc censés travailler ensemble, alors que l’Afghanistan connaît ses heures les plus difficiles depuis le renversement des talibans en 2001. Situation à laquelle le pays doit faire face avec seulement trois cent vingt-cinq mille militaires et policiers, eux-mêmes peu convaincus de leur efficacité. Les Etats-Unis et l’OTAN ont conduit une évaluation des capacités des forces de sécurité afghanes, dont les résultats ont été classés secrets en juillet dernier. Mais peu d’observateurs doutent de ses conclusions. Alors que, depuis 2001, les contribuables américains ont dépensé plus de 50 milliards de dollars pour former et équiper les forces de sécurité afghanes, leur résilience, leurs compétences et leur empressement à prendre réellement en charge la sécurité de la nation sont sujettes à caution. Les talibans ont d’ailleurs gagné du terrain dans le Sud, et notamment dans la province de Helmand depuis l’évacuation des troupes britanniques.

Pourtant, les Etats-Unis sont décidés à se retirer à tout prix, quel que soit le sort réservé aux Afghans. En mai 2014, le président Obama avait déclaré que leur mission de combat serait achevée avant la fin de l’année, et qu’à partir du 1er janvier 2015 ils se contenteraient de « former les forces afghanes et de soutenir les opérations menées contre ce qui reste d’Al-Qaida ». Toutefois, face à la gravité de la situation, le président a autorisé leur participation directe aux combats jusqu’en 2016, selon le New York Times (21 novembre). Les neuf mille huit cents soldats affectés à ces missions seront tous partis avant la fin de cette même année.

Ne pouvant donc plus compter sur les puissances occidentales, occupées par le combat contre l’Organisation de l’Etat islamique, le pouvoir afghan se sent abandonné. C’est pourquoi il se tourne vers des puissances asiatiques, principalement la Chine, afin de ne pas connaître le même sort que l’Irak. De nombreux Afghans craignent pour leur avenir. Ils ne croient guère à la réussite de la coalition gouvernementale conduite par MM. Ghani et Abdullah. Signe des temps, ceux qui ont fait fortune pendant ces treize années de présence militaire internationale s’empressent d’expédier leurs avoirs et leurs affaires hors du pays. L’un d’eux, qui tient à garder l’anonymat, a maintenant transféré son entreprise de sécurité à Dubaï pour monter des projets avec des partenaires étrangers en Irak et dans les pays du Golfe. Il n’est pas le seul. Ces riches entrepreneurs ont tiré la leçon de ce qui s’est passé en Irak et placent leurs avoirs aux Emirats arabes unis. Paradis fiscal pour un argent facilement gagné, les Emirats offrent un environnement sûr pour les familles exilées. Des responsables d’agences immobilières à Dubaï confirment que, depuis l’élection présidentielle, les clients originaires d’Afghanistan sont plus nombreux.

Pour le président Obama, la guerre sera bientôt finie. Il pourra se féliciter d’avoir tenu la promesse faite devant son peuple de retirer les boys d’Afghanistan. Quant à la plupart des habitants de Kaboul et des autres grandes villes afghanes, ils redoutent cette période de transition, alors que le nouveau gouvernement n’a pas trouvé ses marques.

 

Camelia Entekhabifard
Journaliste, auteure de Save Yourself by Telling the Truth : A Memoir of Iran, Seven Stories Press, NewYork, 2007.

 

(1) Lire Georges Lefeuvre, « La frontière afghano-pakistanaise, source de guerre, clef de la paix », Le Monde diplomatique, octobre 2010.

(2) Les Pachtounes forment environ 40 % de la population, les Tadjiks de 25 à 30%, les Hazaras (chiites) de 9 à 19 % et les Ouzbeks de 6 à 9 %, en fonction des estimations.

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