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9 Août 2023
Citoyens de l'Union européenne depuis le 1er janvier, les Roms roumains et bulgares sont pourtant traités comme des parias lorsqu'ils arrivent en France. Près de 500 Roms survivent depuis des mois à Lille dans la plus grande misère. Reportage.
Un espoir insensé. On visite l'endroit où il vit avec ses cinq enfants, un terrain vague à deux pas du centre-ville de Lille. Au milieu des détritus se dresse une quinzaine de tentes. Grises,
jaunes, bleues, rafistolées avec du drap, du scotch et aussi du carton. Frêles abris de fortune secoués par le vent et la pluie. À côté, deux caravanes qui transpirent la pauvreté. Tout à coup,
un rat pique un sprint à travers le terrain. On se frotte les yeux, mais on a bien vu. Comme dans un camp de réfugiés, sans eau, sans électricité, sans argent, sans travail, habitent ici des
familles entières. Un nouveau-né dort dans une poussette. Crasseux et souriants, des gamins courent autour du reporter. Veulent lui serrer la main. "Tu raconteras tout ça dans ton journal",
implore Cristian.
Trop visibles
Ils seraient près de 500 à Lille à vivre ainsi dans la plus grande misère. Venus de l'Est, en voiture ou en bus, ces Roms ont cru que leur vie serait plus belle à l'Ouest. L'entrée de la Roumanie
dans l'Union européenne le 1er janvier a amplifié l'exode : ce pays compte plus de 2,5 millions de Roms. En mai, un premier campement s'installe rue de Marquillies, dans le quartier populaire de
Lille-Sud. Avec d'abord une dizaine de tentes. "Et puis ça s'est agrandi, jusqu'à devenir un village de 350 personnes, raconte François, éducateur spécialisé de l'Areas, une association qui
s'occupe des gens du voyage. Les gens avaient faim et froid. Quand j'arrivais sur le terrain, j'avais l'impression d'être le Messie. Ils pensaient que je pouvais les aider. Mais en réalité je ne
pouvais pas faire grand chose. Tout est très long à mettre en place."
Le bidonville devient trop visible. Le 13 septembre, s'appuyant sur une décision du Tribunal administratif, la préfecture organise l'expulsion. "Tout le monde a été viré dès 6 heures du matin,
les enfants scolarisés, les bébés, les malades, les vieux, raconte Ouahab, responsable de l'accueil des demandeurs d'asile au Secours Populaire. La nourriture, les cabanes et les tentes ont été
écrasées par les bulldozers. Ils ont été virés comme des chiens." Les familles se groupent Porte de Valenciennes mais sont à nouveau expulsées. Depuis, elles vivent, par petits groupes, aux
quatre coins de Lille, dans des usines désaffectées ou des terrains vagues. Il n'y a pas de place pour elles dans les centres d'hébergement d'urgence.
Rares sont ceux qui se mobilisent pour les aider. Quelques bénévoles isolés et deux associations sont en permanence sur le pont. Le Secours populaire assure des distributions de vivres et de
couches pour bébé tous les quinze jours. L'Areas se bat avec une administration kafkaïenne. "Nous avons dénombré 130 enfants de 6 à 16 ans, raconte François. Des enfants que les familles veulent
scolariser. Mais pour cela, elles doivent fournir un certificat d'hébergement… qu'elles n'ont évidemment pas. Idem, pour avoir les allocations familiales, elles doivent prouver que les enfants
sont scolarisés… Que peuvent-elles faire ?" Depuis l'expulsion du 13 septembre, les autorités laissent pourrir la situation. Espérant peut-être que les Roms reprennent la route. "Mais ces gens
sont prêts à subir le pire, prévient Ouahab. Ils n'ont rien à perdre."
Des évacuations et des expulsions inutiles
Lille n'est pas un cas isolé. L'été 2007 a été ponctué par plusieurs évacuations de campements de Roms roumains ou bulgares, exécutées dans l'indifférence générale. Difficile d'en
tenir le compte exact... A Marseille, le 26 juin, la police a ainsi expulsé une cinquantaine de Roms qui stationnaient depuis quelques mois sur une ancienne station-service à l'abandon. A
Saint-Denis, au cours du mois d'août, quelques jours avant le lancement de la Coupe du monde de rugby, près de 400 familles ont été contraintes de quitter le campement de la rue André Campra. Le
28 août, les forces de l'ordre ont évacué un camp de 230 Roms à Vénissieux, près de Lyon, provoquant la fureur du député-maire André Gérin . Plus récemment, le 3 octobre, une soixantaine de Roms a été expulsée, à Nantes, d'un terrain occupé depuis plusieurs mois. Mais, du Nord
au Sud, les bidonvilles finissent toujours par se reconstituer…
Les préfets ont pour consigne de procéder aux expulsions. Mais, depuis l'élargissement de l'Europe le 1er janvier, il ne leur plus possible de distribuer aux Roumains et aux Bulgares les
habituels "arrêtés de reconduite à la frontière", sauf trouble à l’ordre public ou infraction au code du travail (travail sans autorisation). Ils peuvent cependant édicter, sous certaines
conditions, des "obligations à quitter le territoire français" ou organiser des "retours humanitaires". Avec des résultats mitigés : en effet, les Roms reviennent toujours.
"L'éloignement n'est en aucun cas une solution", juge le collectif RomEurope, qui rassemble une vingtaine
d'organisations dont la Ligue des Droit de l’Homme et Médecins du Monde. Selon cette organisation, "la seule solution alternative aux bidonvilles" est la construction de projets d'insertion en
France, pour que les familles "puissent accéder au logement, à l’emploi, à la scolarisation régulière des enfants, à l’alphabétisation, la formation professionnelle". RomEurope met en avant des
actions réussies : par exemple, à Lieusaint en Seine et Marne, où un projet développé depuis 2002 par la préfecture et les collectivités territoriales "a permis à 39 familles de s’intégrer
complètement".
Écrit par Sylvain Marcelli - Photos : Karine Delmas. L'Interdit 16-10-2007