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Aide humanitaire ou cynisme bestial

 

La énième crise de démence barbare des israéliens ressemble à toutes les précédentes. Elle comporte pourtant un aspect nouveau. Une trouvaille du service de communication de l'armée israélienne qui diffuse des images de "l'aide humanitaire"  apportée à la population palestinienne, images d'ailleurs reprises servilement par les médias, incapables la plupart et notamment la télévision,  de la moindre prise de distance ou mise en perspective. Le volume de cette "aide", rappelons qu'il y a plus d'un million et demie d'habitants à Gaza, est dérisoire. Cette aide est d'autant plus dérisoire que femmes, enfants, vieillards, malades...subissent un siège implacable depuis des mois et des mois. Tous les organismes internationaux, toutes les organisations humanitaires qui travaillent sur place, israéliennes et autres, sont unanimes: tout manque à Gaza. Tout manque à Gaza depuis des mois et des mois, depuis des années. A Gaza on meurt aussi de faim depuis des mois et des mois, depuis des années!

Le blocus israélien contre Gaza remonte au début de 2006 et la gravité de la situation humanitaire est bien antérieure à l'offensive israélienne, rappelle un magazine britannique.  
Le 5 novembre 2008, le gouvernement israélien a ordonné le bouclage de la bande de Gaza. Nourriture, médicaments, combustibles, équipements pour les systèmes sanitaires et de distribution d'eau, fertilisants, bâches en plastique, téléphones, papier, colle, chaussures, tasses, etc. Les Gazaouis manquent de tout. Selon [la confédération d'ONG] Oxfam, seuls 137 camions de nourriture ont été autorisés à entrer dans l'enclave palestinienne au cours du mois de novembre, soit en moyenne 4,6 par jour contre 123 par jour le mois précédent et 564 toujours par jour en décembre 2005. Les deux principaux fournisseurs d'aide alimentaire à Gaza sont l'Agence de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et le Programme alimentaire mondial (PAM). L'UNRWA nourrit à elle seule près de 750 000 personnes, ce qui nécessite l'envoi d'une quinzaine de camions par jour.

Entre le 5 et le 30 novembre dernier, seuls 23 camions ont pu passer les barrages israéliens, soit 6 % du convoi nécessaire, et, dans la première semaine de décembre, 12 camions ont pu pénétrer dans Gaza, soit 11 % du nombre requis pour répondre aux besoins de la population. Au mois de novembre, l'UNRWA s'est trouvée à trois reprises à court de réserves alimentaires, ce qui signifie que près de 20 000 personnes n'ont pas reçu leur ration alimentaire normale à trois reprises ce mois-là. Selon John Ging, directeur de l'UNRWA à Gaza, la plupart des gens qui recourent à l'aide humanitaire ne disposent d'aucun autre moyen de subsistance. Le 18 décembre 2008, l'UNRWA a suspendu tous ses programmes de distribution de nourriture – réguliers et exceptionnels – en raison du blocus israélien.

Le PAM a dû affronter les mêmes problèmes et n'a pu envoyer que 35 camions sur les 190 prévus pour couvrir les besoins. Pis encore : le PAM doit maintenant payer les frais de stockage des produits alimentaires qu'il ne peut pas faire entrer dans la bande de Gaza. Ces coûts se montaient à 215 000 dollars pour le seul mois de novembre. Si le siège se poursuit, l'organisation devra verser 150 000 dollars de plus pour le mois de décembre, autant d'argent qui, à défaut de soulager les Palestiniens nécessiteux, viendra enrichir des entreprises israéliennes.

La plupart des boulangeries de Gaza (30 sur 47) ont dû cesser toute activité par manque de gaz pour alimenter les fours. Les gens utilisent toutes sortes de combustibles pour préparer à manger. Ainsi que l'indique clairement l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), les bonbonnes de gaz domestique sont nécessaires au fonctionnement des couveuses à poussins. A cause du manque de gaz et de grains pour les élevages, des centaines de milliers de poulets ont dû être abattus. Selon la FAO, il n'y aura plus la moindre volaille sur le territoire d'ici au mois d'avril. Or le poulet représente la principale source de protéines animales pour 70 % des habitants de Gaza. Avec les restrictions israéliennes sur les transferts de fonds, les banques ont été contraintes de fermer leur porte le 4 décembre dernier. La Banque mondiale a d'ores et déjà prévenu que tout le système bancaire de Gaza risquait de s'effondrer si ces restrictions étaient maintenues.

L'effondrement d'une société

Le 13 novembre 2008, l'unique centrale électrique de la bande de Gaza a suspendu sa production en raison du manque de combustible industriel. Les turbines ont cessé de fonctionner. Dix jours plus tard, elles refusèrent de redémarrer quand la centrale a reçu du nouveau combustible. La centaine de pièces de rechange commandées pour réparer les turbines a été bloquée dans le port israélien d'Ashdod pendant plusieurs semaines dans l'attente d'une autorisation des douanes israéliennes. Ayant été saisies depuis plus de quarante-cinq jours, ces pièces sont à présent mises aux enchères par les autorités israéliennes, et le produit de ces ventes sera consigné sur des comptes bancaires israéliens. Dans la semaine du 30 novembre, 394 000 litres de combustible industriel ont pu être livrés à la centrale électrique de Gaza, soit environ 18 % du minimum hebdomadaire qu'Israël est légalement contraint d'autoriser pour le territoire. Cela a permis de faire fonctionner une turbine pendant deux jours... avant un nouvel arrêt de la production. La compagnie électrique de la bande de Gaza a annoncé que la plupart des foyers allaient être privés d'électricité entre quatre et douze heures par jour.

 

Aucun des combustibles nécessaires aux transports et aux générateurs de secours n'est entré dans l'enclave palestinienne : ni pétrole (bloqué depuis le début du mois de novembre), ni gaz domestique. Les hôpitaux de Gaza semblent alimentés en énergie grâce à des livraisons clandestines provenant d'Egypte et transitant par les tunnels frontaliers. Ces livraisons sont, paraît-il, gérées et taxées par le Hamas. Néanmoins, depuis le 23 novembre, deux hôpitaux de Gaza sont à court de gaz.

Nous assistons aujourd'hui à l'effondrement de toute une société, mais la communauté internationale reste inerte. Les seules mises en garde émanent des Nations unies, et elles sont largement ignorées. En quoi le fait de priver les habitants de Gaza de nourriture et de soins médicaux pourrait-il aider à mettre les Israéliens à l'abri des roquettes Qassam ? En quoi l'état des souffrances et de la misère des enfants gazaouis – qui représentent plus de la moitié de la population – peut-il être profitable à qui que ce soit ? Le droit international et la décence humaine exigent leur protection.

* Sara Roy
London Review of Books (Chercheuse au Centre pour les études sur le Moyen-Orient de l'université Harvard.)


 
 
John Ging, responsable de l'ONU à Gaza
"Peu de gens en dehors de Gaza mesurent l'horreur
de la situation"

Pouvez-vous décrire la situation à Gaza ?


La situation est atroce. Les habitants viennent de vivre douze jours de bombardements incessants. Personne n'est en sécurité, nulle part. Plus de 600 personnes sont mortes et 3 000 ont été blessées, et ça continue. Sans compter que la population manque de tous les produits de première nécessité, comme la nourriture ou l'eau. Les hôpitaux sont débordés, les médicaments manquent. La situation est vraiment désespérée. Mais les gens font preuve d'une grande dignité dans une situation des plus indignes.

 

Israël a commencé mercredi à ouvrir des corridors humanitaires trois heures par jour. Cela a-t-il amélioré la situation ?

 

Les points de passage étaient ouverts aujourd'hui comme ils l'étaient hier et avant-hier. Ce qui a changé, c'est qu'ils ont interrompu leurs opérations militaires pendant trois heures, pour permettre aux gens de sortir de leurs maisons chercher de l'eau et de la nourriture.

 

Cela ne vous a donc pas permis de répondre aux besoins les plus urgents de la population?

 

Notre travail ici n'a pas cessé pendant les bombardements. Mais que voulez-vous faire en si peu de temps ? Nous avons donc trois heures pour faire ce qui nous prend normalement douze heures par jour, six jours par semaine, et que nous n'avons pu faire depuis douze jours. Les camions, d'ailleurs en nombre dérisoire par rapport  aux  immenses besoins , qui acheminent les biens de première nécessité doivent être chargés, conduits, déchargés... Pour faire venir ces camions à Gaza aujourd'hui nous avons commencé à 7 heures du matin, et l'opération vient seulement de finir ce soir, douze heures plus tard. C'est une opération logistique très importante. Il ne faut pas se laisser distraire par ce joli mot de "corridor", ces belles images de convois, ce n'est pas ainsi que cela se passe. Les soldats israéliens arrêtent leurs opérations pendant trois heures, c'est tout, rien de plus.

Un communiqué de votre agence rapporte les propos de médecins selon lesquels 50 % des blessés depuis le début du conflit sont des civils. Confirmez-vous ce chiffre ?

 

Je ne peux pas confirmer les chiffres avancés. Il faudra mener une enquête indépendante pour établir les faits, puis nous aurons les bilans exacts. Mais il est évident que beaucoup de civils sont tués à l'heure qu'il est. Il faudra que les responsabilités soient établies, parce que si la guerre n'est pas régulée par la loi, comme le détermine la convention de Genève, c'est la loi du fusil, et ça c'est la manière dont les extrémistes et les terroristes mènent leurs opérations. Nous devons donc nous assurer que même en temps de guerre la loi est respectée. La loi dit que les civils doivent être protégés. S'ils meurent, c'est qu'il y a un problème. Il faudra déterminer qui en porte la responsabilité.

 

 

Vous avez demandé l'ouverture d'une enquête internationale après le bombardement d'une école gérée par l'ONU. Que s'est-il passé exactement ?

 

 

Il y avait 350 familles de réfugiés à l'intérieur, et des tirs tout autour de l'école. Quarante personnes ont trouvé la mort, cinquante-cinq ont été blessées,  exclusivement des civils. Il faut déterminer ce qui s'est passé. Israël affirme que des militants tiraient depuis l'école. Mais nous, aux Nations unies, sommes convaincus que ce n'est pas le cas car ces écoles sont sous notre contrôle. Notre personnel est chargé de vérifier qu'aucun combattant ne s'y abrite et qu'il n'y a aucun tir depuis l'école. Je fais confiance à notre personnel, mais si ceux qui nous accusent ont des preuves de ce qu'ils avancent, qu'ils les montrent et nous agirons en conséquence.

Israël va dépêcher jeudi un émissaire au Caire pour discuter d'une trêve des combats. Un cessez-le-feu vous paraît-il possible dans les jours qui viennent ?

 

Nous devons garder espoir qu'il interviendra le plus tôt possible. Le problème, c'est que peu de gens en dehors de Gaza mesurent l'horreur de la situation ici. Vu de l'extérieur, il peut sembler raisonnable d'attendre deux ou trois jours de plus, mais ici, des gens meurent pour rien toutes les heures. Puisque nous savons que tout cela aura une conclusion politique, et non militaire, pourquoi ne pas cesser les violences immédiatement ?


Propos recueillis par Soren Seelow

LEMONDE.FR | 07.01.09 | 20h14
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