Portugal: les signes d’un séisme à venir

Plus d’un million de personnes, de tous âges, sont descendues dans les rues du pays le 2 mars pour demander la fin de l’austérité. Un mécontentement croissant qui pourrait bouleverser le système politique en place depuis la chute de la dictature.

  

En fin de compte, le 15 septembre ne fut pas qu’un épisode. En fin de compte, tout ne se résumait pas à la Taxe sociale unique, qui fut suivie du massacre fiscal. En fin de compte, la grande majorité des Portugais n’est plus à l’affût des sautes d’humeur du CDS [démocratie chrétienne, membre de la coalition gouvernementale] et n’attend plus que le président de la République, Aníbal Cavaco Silva, sorte de sa profonde léthargie, ou que ce qu’il est convenu d’appeler l’opposition interne du PSD [le Parti social-démocrate du Premier ministre Pedro Passos Coelho, centre-droit] estime enfin que son heure est venue. En fin de compte, les gens sont descendus dans la rue au beau milieu d’une évaluation de la troïka pour montrer qu’ils ne sont pas le “bon peuple” que l’un de ses bureaucrates croyait voir vivre ici.

 

Malgré l’antipathie évidente à laquelle semble aujourd’hui vouée toute la classe politique, les manifestations du 2 mars n’ont pas été antipolitiques. Elles ont davantage marqué la tristesse et la déception que celles de septembre, mais elles ne furent pas, encore, désespérées. Ce furent des manifestations au contenu politique et encadrées, dans toute leur symbolique, par des sentiments démocratiques. Et cela, si l’on tient compte de la situation sociale que nous vivons et du blocage institutionnel auquel nous sommes confrontés, est extraordinaire. Peut-être cela ne peut-il être expliqué que par le fait que notre démocratie est encore relativement récente.

Un Etat-providence trop généreux ?

J’ai dit “encore”, car si l’opposition ne parvient pas à apporter une réponse à cette révolte en construisant une alternative crédible – et non pas en se limitant à préparer une alternance ou en essayant de capitaliser des soutiens pour les prochaines élections -, le prochain pas pourrait être tout autre.

 

Je suis persuadé que si l’an prochain quelque chose de nouveau apparaissait dans le spectre électoral et était capable d’enthousiasmer ou de retenir l’attention des Portugais, le résultat serait surprenant. Ce “quelque chose” peut être positif mais il est plus probable qu’il soit inconsistant, voire politiquement dangereux.

 

Il y a une chose qui saute aux yeux lorsqu’on se penche sur les manifestations de samedi : leur composition en terme de classes d’âges. On a remarqué, plus que lors de celle du 15 septembre, la présence de nombreux retraités. C’est sur eux que se concentrent tous les problèmes. Le problème d’être nés et d’avoir grandi dans un pays socialement, économiquement et culturellement arriéré. Et de porter, plus que tous les autres, le fardeau de ce retard.

 

Les retraites misérables que la plupart d’entre eux reçoivent, comme preuve écrasante de l’idée en laquelle Passos Coelho croit, et à laquelle il veut que le pays adhère, selon laquelle nous avons un Etat-providence trop généreux. Une idée qui ne peut venir que de l’imagination de quelqu’un qui ne connait le pays qu’à travers les coulisses des partis et les bureaux des entreprises de ses amis.

Une révolte pacifique

L’une des choses dont on a le plus parlé ce samedi c’est de ces enfants qui émigrent, qui sont au chômage, qui sont désespérés. Et de l’absence de perspectives d’avenir des petits-enfants. Dans une société comme la société portugaise, où la famille est une sorte d’Etat-providence complémentaire (ou même principal), les vieux accumulent la souffrance de toutes les générations. Et ils sont, eux-mêmes, les plus sacrifiés des sacrifiés.

 

Nombre de retraités qui sont descendus dans la rue samedi participaient à une manifestation pour la première fois de leur vie. En d’autres mots, ils sont passés par la dictature, par le PREC [le Processus révolutionnaire en cours, c’est-à-dire la transition démocratique après la révolution de 1974] et toute la démocratie sans jamais faire usage de ce droit. Et ce n’est que maintenant, à plus de 60 ans, et après presque 40 ans de démocratie, qu’ils se sont sentis poussés à descendre dans la rue.

 

Nous vivons un moment de révolte pacifique qui s’inscrit encore dans le système politique, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Mais il est entré dans sa phase décadente. Si le monde politique persiste à ne pas répondre au pays, des choses imprévisibles auront lieu. Je pense (ou du moins j’espère) qu’elles auront lieu dans l’espace de la démocratie et sans la mettre en cause. Mais, après deux ans d’austérité et de misère, tout peut changer. Dans la contestation sociale, le changement est déjà très important. Elle n’est plus seulement sous la tutelle des corporations – elle n’est même plus homogénéisée – des structures syndicales et partisanes. Je ne sais pas si c’est bon ou mauvais. C’est ainsi.

 

Si l’opposition ne parvient pas à donner corps à une alternative crédible et si le principal parti de la droite portugaise entre en désagrégation, les premiers qui en profiteront, qu’ils soient sérieux ou populistes, comédiens ou hommes d’état, pourront provoquer un séisme politique. Parce que le séisme social, lui, est en train d’avoir lieu. Sans que, apparemment, les institutions et les partis réagissent.

 

 Daniel Oliveira

 Traduction : Arnaud Lantoine

 

 

 

“Plus d’un million de personnes ont chanté ‘Grândola’”

 

 

 

Plus d’un million de personnes, provenant de 40 villes portugaises, ont défilé dans les rues le 2 mars, dans le cadre de manifestations organisées par un mouvement apolitique connu sous le nom Que se lixe a troika (Que la troika aille se faire voir). Selon les organisateurs, 800 000 personnes ont manifesté rien qu’à Lisbonne.

 

Le peuple donne les ordres” pouvait-on lire et entendre. A la fin du rassemblement, les manifestants ont entonné “Grândola, Vila Morena”, une chanson liée à la révolution portugaise du 25 avril 1974.

 

Lors des défilés contre l’austérité, les manifestants ont appelé à la démission du gouvernement de Pedro Passos Coelho. Ils ont également exhorté la troika, actuellement au Portugal pour mener sa septième évaluation du plan de sauvetage, à quitter le pays.

 

 

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