BIRMANIE • Des bouddhistes extrémistes attisent la haine anti-musulmans

Depuis une semaine, le centre du pays est en proie aux émeutes violentes contre les musulmans. Un journaliste observe la montée en puissance d'un discours identitaire relayé par des moines. Un danger à ne pas sous-estimer dans ce pays composé de nombreuses ethnies.

 

 

21 mars 2013. Les habitants passent devant des habitations en feu après les émeutes dans la ville de Meiktila, dans le centre de la Birmanie - AFP

21 mars 2013. Les habitants passent devant des habitations en feu après les pogroms

 dans la ville de Meiktila,dans le centre de la Birmanie.

 

 

 

Lorsque Maung Zarni, chercheur et militant engagé, a déclaré que la répression contre les Rohingyas et les musulmans de Birmanie s'apparentait à une forme de néo-nazisme, certains Birmans ont estimé qu'il allait trop loin. Les commentateurs occidentaux avaient eux aussi évité ce terme. La diffusion de photos prises lors d'une émeute anti-musulmans le 20 mars dernier à Meiktila, dans le centre du pays, lui donne pourtant raison aujourd'hui.

Ces violences, survenues à la suite d'une querelle entre des musulmans faisant commerce d'or et des clients bouddhistes, ont coûté la vie à plus de trente personnes et causé la destruction d'une dizaine de mosquées, d'écoles et de foyers musulmans. Des milliers de résidents – musulmans et bouddhistes – ont quitté la ville en flammes, laissant derrière eux des cadavres et des bâtiments en cendres.

 

Images de réfugiés les mains en l'air

Le 21 mars au soir, le journal Eleven News basé à Rangoun a diffusé des photos montrant une longue file de musulmans contraints de quitter la ville. Ce qu'il y a de frappant dans ces images, c'est que les réfugiés, y compris les femmes, les enfants et les personnes âgées, ont les mains en l'air alors que les forces de sécurité les escortent. A quelques encablures se tiennent des moines et des habitants bouddhistes armés, observant le départ de centaines de musulmans. Des images qui évoquent celles des réfugiés juifs escortés par des soldats allemands durant le IIIème Reich.

Ces photos ne sont pas le seul point commun entre le mouvement anti-musulmans en Birmanie et le courant néo-nazi. Les actions et l'idéologie des militants – notamment en terme d'ethnie et de religion, mais aussi sur les questions de classe et de sexe – ne sont pas très éloignées de ce que l'on a pu voir durant le régime nazi d'Hitler.

Il y a d'abord des actes observables et répétés. Les plus importants sont ceux liés à la "campagne 969" lancée en début d'année. Dans un pays où la numérologie occupe une place importante, ce mouvement de masse est mené par des moines bouddhistes extrémistes, dont un porte-drapeau passionné appelé Wirathu. Le nombre 969 vient de la tradition bouddhiste selon laquelle les Trois Joyaux ou Tiratanase composent de 24 attributs (9 du Bouddha, 6 du Dharma et 9 du Shangha).

Des marchands boycottés

Pour les militants, la campagne 969 vise à protéger la race et la religion [birmanes] par des moyens pacifiques. En réalité, c'est un mouvement ouvertement hostile aux musulmans et qui ne prêche nullement les enseignements du Bouddha. Dans tout le pays on trouve des comités locaux du mouvement qui organisent des évènements, proposent des sermons religieux et distribuent des CD, des livres et des tracts anti-musulmans.

La campagne 969 s'intéresse à des questions économiques en affirmant que les musulmans contrôlent l'économie du pays et que les bouddhistes ne devraient avoir aucun commerce avec eux. Les militants recommandent à leurs coreligionnaires de fréquenter des commerces bouddhistes qui arborent des panneaux et des autocollants 969. Dans l'Etat Karen [au sud-est de la Birmanie], les bouddhistes sont mêmes contraints de ne se fournir qu'auprès de marchands bouddhistes. Plusieurs sources locales font état de violences perpétrées par des moines et des militants du mouvement 969 contre des bouddhistes ayant eu commerce avec des musulmans.

Le mouvement 969 s'étend désormais sur toute une gamme de commerces, des restaurants aux marchands de thé en passant par les vendeurs de rue. Dans tout le pays, on entend des sermons de moines bouddhistes parlant du mouvement 969. En résumé, le message du mouvement est diffusé dans tout le pays par les moines et les militants qui sillonnent l'Etat. Les musulmans sont présentés comme de dangereux étrangers venus prendre le contrôle de la Birmanie dans sa globalité.

 

Soutien populaire

 

Il y a aussi d'autres facteurs importants. On trouve par exemple plusieurs ouvrages de moines bouddhistes portant tous le même titre: De la peur de perdre notre race / notre nation. Ces livres, qui circulent depuis plusieurs années, sont les manifestes du mouvement : ils dépeignent les musulmans comme des hommes haineux et dangereux qui épousent des femmes bouddhistes sans leur consentement, tentent de remplacer le bouddhisme par l'islam et se sont donnés pour mission d'étendre leur domination économique, politique et culturelle sur le monde. Selon eux, les musulmans pourraient asservir la nation bouddhiste si aucune mesure n'était prise pour les neutraliser et éradiquer leur influence.

Toutefois, aucun

mouvement néo-nazi ne survit sans soutien populaire. Le fait que des centaines de gens écoutent les sermons de la campagne 969 est la preuve de sa montée en puissance. L'opinion publique ne se contente pas d'accepter ces propos, elle participe aux actions du mouvement qui a notamment détruit plusieurs commerces musulmans dans l'Etat Môn au début du mois.

Sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, plusieurs groupes privés portant des noms en alphabet birman sont liés au mouvement 969. Ils comptent entre 90 et plusieurs centaines de membres. Il existe des profils publics comme le Myanmar National Movement Committee, "aimé" par 15 499 internautes. Les commentaires des utilisateurs reflètent également le soutien populaire au mouvement.

Si les autorités laissent ce mouvement se propager, la Birmanie est promise à un avenir de tensions communautaires et de violence perpétuelle. Le fait qu'une simple querelle personnelle ait pu dégénérer en émeutes de masse à Meiktila est un signe alarmant.

 

 

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