Adieu facteurs

La Poste espagnole ne distribuera plus le courrier dans les boîtes aux lettres des zones rurales

Sonia Vizoso, El País, 22 janvier 2008, traduction Antoine Rabadan

 

 

Les habitants des zones dispersées ou isolées devront se déplacer jusqu’à une boîte aux lettres collective.

Les pas des facteurs, ces pas qui, malgré l’implacable exode rural, n’ont jamais cessé de sillonner les chemins embourbés, ne laisseront plus, dans quelques mois, leurs traces dans de nombreux villages galiciens. Un décret du Ministère du Développement permet à la Poste de supprimer la distribution à domicile dans des zones à faible densité d’habitants ou parsemées de logements isolés, autant de poches qui constituent l’exception en Castille ou en Andalousie, mais sont un signe d’identité dans la Galice à habitat dispersé.

Les facteurs ne frapperont plus à la porte des maisons situées dans des « environnements disséminés » et à plus de 250 mètres d’une route principale. Les occupants de ces logements devront récupérer leur courrier dans une boîte aux lettres collective qui sera fixée dans quelque point « très accessible et très passant », en accord avec les mairies et les associations de quartiers, explique-t-on du côté de la Poste.

L’entreprise publique ne précise pas le nombre de maisons qui seront touchées par cette mesure en Galice parce que, avance-t-elle, un travail sur le terrain est encore en cours pour déterminer les zones présentant les caractéristiques établies dans la directive approuvée en avril et à qui on retirera le service à domicile. Les chiffres du recensement permettent pourtant de mettre en garde contre le fort impact que ce décret aura dans les zones rurales : la région concentre la moitié des 63 613 villages et hameaux que compte l’Espagne et les galiciens sont 445 000 à vivre dans des « noyaux disséminés » (de moins de 10 logements), soit un tiers du total des espagnols se trouvant dans cette situation.

Les facteurs et livreurs et les syndicats n’ont pas besoin de l’étude de la Poste pour craindre le pire. D’après Xosé Blanco, le secrétaire national de la Poste dans la CIG [Confederación Intersindical Galega, syndicat galicien de l’Administration Publique], la mesure touchera « presque tout le monde rural » et laissera sans travail environ 400 facteurs de villages, sur les 1200 qui exercent dans tout le pays, alors que l’entreprise rappelle avec insistance qu’elle ne supprimera aucun emploi.

Rafael Iglesias est d’accord avec le syndicaliste : il distribue le courrier à Lalín (Pontevedra) en parcourant avec sa fourgonnette 70 kilomètres par jour. Ce fonctionnaire estime que la moitié des villages qu’il dessert cesseront de recevoir les lettres à domicile. Il est convaincu que le décret du Ministère impliquera des coupes sombres dans les effectifs de la Poste qui constituent la moitié des 4400 facteurs ou livreurs de Galice. Les provinces de Ourense et de Lugo supporteront le choc le plus brutal.

Le facteur de Lalín est d’avis que la directive a été rédigée dans les bureaux du Ministère du Développement en fonction des lotissements du Levante [zone de Valence], de ces résidences qui sont des destinations de vacances et qui restent vides la plupart de l’année. En Galice, ajoute-t-il, cette « reconversion du service postal va devenir une « attaque contre un fait différentiel ».

Le bureau où va travailler quotidiennement Rafael Iglesias est un réseau serré de chemins « dans un état déplorable », avec des bouchons provoqués par des troupeaux de vaches et des maisons précédées d’un labyrinthe. « Notre distribution n’a rien à voir avec celle de l’Andalousie, d’une grosse ferme à une autre grosse ferme », ironise-t-il. A Lugo et à Ourense certains parmi ses camarades arrivent à parcourir 200 kilomètres par jour pour introduire les lettres dans les boîtes de tous les habitants sans exception de leur zone. Et comme les noms des rues de la campagne ne sont pas écrits, il ne reste plus au facteur d’autre ressource que de mémoriser les noms et surnoms de ses clients.

La CIG, qui a déjà envoyé des lettres aux mairies les informant des projets de la Poste, soutient que la suppression de la distribution à domicile est « discriminatoire » pour les habitants des zones rurales et que les boîtes aux lettres collectives portent atteinte à la loi protégeant les données car elles mettent à la portée de n’importe qui les données personnelles des citoyens. La Poste réplique en disant que la conception de ces boîtes « garantit totalement l’intimité » puisque chaque dépôt sera identifié par un numéro et le nom et l’adresse de l’habitant apparaîtront dans un compartiment auquel seul le facteur aura accès.

Le personnel de la Poste prépare des mobilisations pour tenter de convaincre le Ministère que l’application du décret en Galice laissera plus à l’abandon encore la population vieillissante de la zone rurale. En attendant, le facteur de Lalín se demande ce qu’il adviendra de doña Josefa, une vieille dame de Pardesoa-Maceira qui, à 90 ans et ayant pratiquement perdu vue, a besoin qu’on l’aide à lire le courrier qui arrive chaque jour dans sa maison isolée. « Elle ne me laisse pas partir avant que je lui aie dit de combien on va lui augmenter la pension ».

Le dernier carré des facteurs de villages

Sonia Vizoso, El País, 22 janvier 2008, traduction Antoine Rabadan

 

La moitié environ des facteurs ruraux d’Espagne travaille en Galice. Ils payent de leur poche le véhicule et son entretien et la Poste leur paye le carburant (22 centimes d’euro le kilomètre) et leur verse un salaire qui va de 1000 à 1300 euros. L’entreprise d’Etat estime que la suppression de la distribution à domicile dans les villages les plus isolés est pensée « pour aider les facteurs à développer leur tâche de distribution dans les meilleures conditions ».

Des sources de la Poste se retranchent derrière le fait que « le décret va garantir une meilleure qualité dans la distribution, en surmontant les difficultés souvent rencontrées : défaut de signalisation, absence de plaques dans les rues, inexistence de boîtes aux lettres ou leur installation à l’intérieur de portails avec des chiens ». Eux, les facteurs, ne pensent pas la même chose. Ils mettent la mesure sur le compte de « critères économistes », après avoir vu comment, ces dernières années, les camarades qui ont pris leur retraite n’ont pas été remplacés. « Le seul service que l’Etat rend à domicile c’est celui de la poste. Même la Garde Civile ne bat pas le terrain comme nous », affirme Rafael Iglesias.

Le XXIème siècle va en finir définitivement avec le caractère public du service postal. La distribution du courrier vit cette année ses derniers mois en marge du libre marché. A partir de 2009, des entreprises privées concurrenceront la compagnie qui dépendra du Ministère du Développement pour la distribution des lettres. Par son décret d’avril, le Gouvernement a libéré ces entreprises du poids que constituait l’obligation de porter les lettres à chaque citoyen où que se trouve sa demeure. Le secrétaire du secteur postal des CC OO [Commissions Ouvrières, un des deux grands syndicats historiques d’Espagne avec l’UGT] de La Corogne , Jesús Cebeiro, calcule que cette privatisation supprimera entre 20 % et 30 % des emplois de la Poste.

La principale « menace » pour l’entreprise publique viendra, prédit le syndicat, des multinationales qui accapareront 30 % du marché. Le secrétaire général de la Fédération des Communications et des Transports des CC OO, Ramiro Otero, n’a pas le moindre doute : des multinationales seront intéressées par le service postal en zone urbaine, mais il n’en sera pas de même avec les zones rurales : « Il va y avoir une détérioration dans quelques villages, ils n’auront pas le service qu’ils ont maintenant ».

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