Faten, 10 ans, petite reine des rues du Caire

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C'est en pleine nuit, lors d'un hadra - concert soufi -, qu'elle apparaît pour la première fois dans le cimetière de Sayeda Zeinap, un lieu habité par les populations les plus pauvres du Caire. Ici, personne ne la connaît. Elle tient un sac en plastique plein de pochettes de mouchoirs. En silence, elle passe parmi les spectateurs. Elle s'arrête un instant devant chacun d'eux, attend un peu puis poursuit lentement son cheminement. Elle porte une chemise de nuit sale et élimée sur un pantalon usé et trop grand pour elle. A son cou pend une clef retenue par un lacet. Son regard semble éteint. Probablement pour mieux vendre ses mouchoirs. Sans doute a-t-elle pensé que les affaires seraient meilleures ici que dans les rues de la capitale où la concurrence est grande. Elle a dix ans.

Soudain, elle aperçoit l'appareil photo. Elle vient alors se placer devant l'objectif. Elle se met à sourire. C'est un large sourire. Comme un grand rire. Un sourire de star qui tente de faire oublier ses haillons. Un sourire désespéré aussi. Elle dit qu'elle s'appelle Faten. Elle dit qu'elle est seule ici. Non elle ne connaît personne. D'où vient-elle ? " De Toura près de Maadi, à une trentaine de minutes à pieds. " Elle dit qu'ici, elle n'a pas d'amies. Va-t-elle à l'école ? " Non, parce qu'il faut de l'argent pour aller à l'école, pour acheter un cartable, un stylo, un cahier... " Elle dit qu'elle vend des mouchoirs toute la journée. " Je gagne entre dix et quinze livres égyptiennes par jour. " Et ses parents ? Elle dit que son père travaille, qu'il vend des mouchoirs aussi. Elle dit que sa mère est en prison. Depuis quand ? " Depuis hier soir. " La coïncidence semble étrange... Pour longtemps ? " Pour trois mois. " Pourquoi ? " Parce qu'elle vendait des mouchoirs. " Elle dit que sa petite soeur est en prison avec sa mère. Sa petite soeur a quatre ans. Et Faten, j'ai l'impression qu'elle me ballade...

 

 

Nous nous installons un peu à l'écart, sur deux chaises bancales. Faten frissonne. Les nuits d'avril sont encore fraîches au Caire. Des enfants accourent et refusent de déguerpir. Une gamine, la plus âgée de la bande, se campe raide sur ses deux jambes et croise les bras de manière à bien faire comprendre qu'elle n'a pas l'intention de partir. Faten répond tranquillement à mes questions, sans se départir de son sourire, ravie que l'on s'intéresse soudain à elle. Sa voix est très douce. Elle dit que ses parents sont divorcés, elle dit qu'elle loge avec sa mère dans une chambre. " Il y a une couverture pour moi et ma mère. " Je me demande ce qu'est devenue la petite soeur, mais je n'en dis rien. Oui sa maman est gentille. Oui son papa aussi. Elle dit que cette nuit elle rentrera dormir chez elle, dans la chambre.

Elle dit qu'elle ira en métro. Elle connaît le chemin. Oui elle pourra m'emmener voir comment c'est chez elle. Non il n'y a personne, elle y est seule. Près d'elle, un enfant esquisse un geste brusque par mégarde. Faten protège aussitôt son visage. Un réflexe. Des gens sont méchants avec elle ? " Mohamed et Aziza ne sont pas gentils. Parfois ils me frappent. " Impossible de savoir qui ils sont. Elle élude habilement la question. Une fillette s'approche d'elle et lui flanque une gifle. La jalousie sans doute. Faten fait un peu la moue, passe sa main sur sa joue puis reprend instantanément son sourire et sa pose de reine. Soudain une pelleteuse approche. Des travaux ont lieu, de jour comme de nuit, dans ce cimetière délabré.

On y installe un tout-à-l'égout paraît-il... Tel un monstre de science-fiction, la machine avance impitoyablement vers les enfants, comme si le conducteur ne les voyait pas. Comme s'ils ne comptaient pas. Et le petit attroupement est dispersé.Au moment de la raccompagner " chez elle ", Faten change subitement d'avis. " Non je dois rester là, j'attends une amie qui va venir me chercher. " Une amie... Une heure du matin... Peut-être Faten a-t-elle décidé de passer la nuit dans ce quartier... Peut-être essaye-t-elle de faire croire qu'elle a une amie... Peut-être a-t-elle honte de dire qu'elle dormira dehors, seule, qu'elle est une enfant des rues... Peut-être...

Le phénomène des enfants des rues a littéralement explosé en Egypte ces dernières années avec l'aggravation de la crise économique. Leur nombre oscillerait entre 300 000 et un million. " Cela dépend de ce que l'on appelle enfant des rues. Certains ont définitivement coupé les liens avec leur famille tandis que d'autres reviennent de temps à autre chez eux, " explique Simon Ingram, responsable de la communication pour Unicef Egypt. Ils se trouvent essentiellement dans les grandes villes et notamment au Caire et à Alexandrie. Au Caire, on les trouve surtout dans le quartier de Sayeda Zeinap et autour de Talat Harb Street. Ils sont partout. Il suffit d'ouvrir les yeux. A la tombée de la nuit, on les voit couchés sur les trottoirs, le long des immeubles, sous les porches ou dans les squares. Leur nombre exact n'est pas connu. Pas d'études, pas de recensements, ... " Ce n'est que très récemment que le gouvernement a consenti à prendre acte du problème. "

 

Selon Simon Ingram, les causes du phénomène sont multiples : " On retrouve toujours la pauvreté, avec des conditions de vie difficiles. Très souvent aussi, il y a une rupture familiale à la base : un divorce, une séparation, un veuvage ou un remariage. La seconde épouse arrive avec ses enfants, ceux du premier mariage sont mis à l'écart... Sans oublier les abus sexuels, les violences, les maltraitances, ... Quand plus rien ne retient un enfant, il préfère partir. " Il existe aussi une connexion avec le travail infantile : " Quand la famille a besoin d'argent il arrive fréquemment qu'elle retire ses enfants de l'école et les envoie au travail. Et lorsqu'un problème survient au travail ou que le patron décide qu'il n'a plus besoin de l'enfant, il s'en sépare. Celui-ci n'ose pas revenir chez lui, ou bien il n'en a pas les moyens, et il reste dans la rue. "

 

 

 

 

 

 

 

 

Les enfants des rues survivent comme ils peuvent. Ils mendient ou s'aident de petits jobs, comme laver les voitures, servir le thé ou le café, vendre des mouchoirs ou encore travailler pour un patron, dans un atelier mécanique, une boucherie, un fournil, ... D'autres deviennent délinquants. Bien souvent, ils sont obligés de voler leur nourriture. Ils dorment sous les ponts, dans les parcs, les squares ou les mosquées, qui restent ouvertes la nuit. Souvent, ils vont par deux, trois ou quatre. Ce sont de petits groupes d'amis qui ne se quittent pas. Point de bandes organisées, juste des affinités qui s'associent. Les enfants se déplacent aussi beaucoup. " L'été, ils ont tendance à aller à Alexandrie, au bord de la mer, où il y a plus de monde. Ils prennent le train ou le bus, " précise Simon Ingram.

 

Quand ils ne travaillent pas, pour tuer le temps, les petits désoeuvrés fument la chicha, des cigarettes et sniffent de la colle. La " kolla ", c'est probablement la seule chose qui leur offre quelques moments d'évasion dans ces journées faites de luttes et de peurs. Scène entrevue dans un square aux abords de la rue du 26 juillet, à la nuit tombée : deux garçonnets couchés sur l'herbe, vaguement cachés par un buisson, sniffent de la colle cachée au fond d'une pochette en papier. Les petites narines aspirent avidement les vapeurs réconfortantes. A deux mètres à peine, des couples d'amoureux prennent le frais, assis sur la margelle. Ils devisent tranquillement, se donnent le bras, boivent un soda ou dégustent une glace. Ils ignorent les enfants.

Les enfants des rues survivent comme ils peuvent. Ils mendient ou s'aident de petits jobs, comme laver les voitures, servir le thé ou le café, vendre des mouchoirs ou encore travailler pour un patron, dans un atelier mécanique, une boucherie, un fournil, ... D'autres deviennent délinquants. Bien souvent, ils sont obligés de voler leur nourriture. Ils dorment sous les ponts, dans les parcs, les squares ou les mosquées, qui restent ouvertes la nuit. Souvent, ils vont par deux, trois ou quatre. Ce sont de petits groupes d'amis qui ne se quittent pas. Point de bandes organisées, juste des affinités qui s'associent. Les enfants se déplacent aussi beaucoup. " L'été, ils ont tendance à aller à Alexandrie, au bord de la mer, où il y a plus de monde. Ils prennent le train ou le bus, " précise Simon Ingram.

 

Quand ils ne travaillent pas, pour tuer le temps, les petits désoeuvrés fument la chicha, des cigarettes et sniffent de la colle. La " kolla ", c'est probablement la seule chose qui leur offre quelques moments d'évasion dans ces journées faites de luttes et de peurs. Scène entrevue dans un square aux abords de la rue du 26 juillet, à la nuit tombée : deux garçonnets couchés sur l'herbe, vaguement cachés par un buisson, sniffent de la colle cachée au fond d'une pochette en papier. Les petites narines aspirent avidement les vapeurs réconfortantes. A deux mètres à peine, des couples d'amoureux prennent le frais, assis sur la margelle. Ils devisent tranquillement, se donnent le bras, boivent un soda ou dégustent une glace. Ils ignorent les enfants.

 

La rue est extrêmement dangereuse pour eux. " Ces enfants sont dans une situation d'extrême vulnérabilité. Ils doivent faire face à de nombreux problèmes : violence, abus de drogue, vol, viol, ... Les filles en particulier sont très fragiles. Elles sont fréquemment violées, enlevées ou encore mariées de force, " confirme Simon Ingram. Les enfants sont également violents entre eux. " Les plus jeunes se font dépouiller par les plus grands. C'est la raison pour laquelle ils préfèrent dépenser tout de suite ce qu'ils ont plutôt que de risquer de se faire voler. " Les gamins se battent aussi, souvent avec des couteaux. Beaucoup se blessent ainsi. " On voit souvent des cicatrices de coupures sur leurs visages. " Autre soucis pour les jeunes laissés-pour-compte, éviter la police. " Tout enfant trouvé dans la rue est automatiquement considéré comme délinquant et arrêté. " Pour Simon Ingram, c'est une des questions les plus préoccupantes. " Ils sont mis en prison avec des adultes délinquants, criminels, ... C'est la chose la pire qui puisse leur arriver ! On peut facilement imaginer tout ce qui peut se passer une fois qu'ils sont enfermés avec eux ! "

 

De plus, la société exclut les enfants des rues. " Ils sont considérés comme des fauteurs de troubles qui volent et qui se droguent. Il y a beaucoup d'hostilité à leur égard. C'est une chose qu'ils ressentent très fortement et qui les blesse beaucoup, " déplore Simon Ingram. Cependant, précise-t-il, grâce aux actions de certaines ONGs, comme Hope Village Society, Caritas Alexandria, Tofulty, ..., on observe un léger changement d'attitude à leur égard. " La population commence à éprouver un peu de compassion pour ces enfants. " Pour encourager cela et faire connaître leurs conditions de vie au grand public, l'Unesco a créé un projet, " The White Book of our Future ", un livre dans lequel les enfants racontent leurs histoires avec leurs mots et leurs dessins. " Nous espérons que le fait de faire lire ce livre aux Egyptiens modifiera leur opinion et qu'ils finiront par les considérer non plus comme des délinquants mais comme des victimes. Ces enfants ont besoin de la protection de tous, " affirme Simon Ingram.

 

 

 

 

 

 

 

Dans les refuges de la Hope Village Society, on a bien compris la demande et le besoin des gamins. Ils sont libres d'aller et venir à leur guise à tout moment de la journée pour prendre un repas, une douche, recevoir des soins médicaux, faire un check-up, récupérer des vêtements, des conseils, regarder la télévision ou encore participer à des activités. Les enfants aiment bien s'y rendre. Ils l'ont surnommé " le club ". " Il s'agit plus de les responsabiliser et de leur donner de meilleures armes pour se battre dans la vie que de les assister, " explique Ashraf Abd El Monem, un des responsables de la Hope Village Society. Cela ne fonctionnerait pas autrement, les enfants ne viendraient pas : après deux ans passés dans la rue, un enfant a acquis une telle indépendance qu'il ne peut plus se réadapter à une vie normale. " La plupart ont une famille mais ils racontent des histoires par peur que l'on ne les ramène chez eux, " précise Ashraf Abd El Monem.

 

" Il s'agit aussi de leur donner les moyens de se protéger. Cela passe beaucoup par l'information, ajoute Simon Ingram. On les prévient par exemple sur les risques d'abus de la colle. On cherche à leur inculquer le sens du leadership et des responsabilités, à prendre soin des plus petits. " Dans les centres de Hope Village, les enfants apprennent à se prodiguer les premiers soins, à se faire des pansements, des bandages, ... " Ils se blessent souvent la nuit, au cours de bagarres, et doivent se débrouiller seuls car les hôpitaux refusent généralement de les soigner. " D'après Simon Ingram, les premiers résultats sont extrêmement encourageants.

 

Mais avec seulement quatre ou cinq refuges au Caire, de la taille d'un appartement et d'une capacité d'accueil d'une quinzaine de gamins chacun, seul un petit pourcentage des enfants peut profiter de cette aide. " Hope Village voulait ouvrir de nouveaux centres mais il y a une réelle résistance de la part des autorités. Selon eux, augmenter le nombre de refuges accroîtrait le nombre d'enfants des rues... Une logique étrange... " déplore Simon Ingram.

 

Le centre de jour " Hope Village" du quartier de Sayeda Zeinap est difficile à trouver. Il faut demander aux habitants du coin. Plusieurs fois. Rien n'indique sa présence. Pas de panneau indicateur, pas d'enseigne. Un anonymat nécessaire pour protéger les enfants. De proche en proche on y arrive. C'est une maison comme les autres. Il faut sonner. Un homme avenant est à l'accueil. Il tient un registre. Les enfants, il les connaît tous. On lui montre une photo de Faten. " Ah ! C'est Wafa ! Oui, elle vient souvent ici ! " Wafa signifie fidélité. Etonnement. Elle ne s'appelle pas Faten ? " Les enfants des rues mentent tous, non pas parce qu'ils sont menteurs, mais pour que l'on ne retrouve pas le fil qui permettrait de les conduire à leurs parents ", explique l'homme. Faten, le prénom qu'elle s'est choisi, signifie " la plus belle "...

 

Depuis la nuit du hadra, Faten semble avoir élu domicile dans le cimetière de Sayeda Zeinap. Elle s'y est même fait quelques amies. Ce matin là, elle fait de la balançoire sur la place, avec une camarade. Elle semble légère, insouciante. On se rappelle alors qu'elle est aussi et surtout une enfant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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