Filmer des policiers, un droit démocratique

Editorial. Une disposition du projet de loi de « sécurité globale » visant à limiter la diffusion d’images des forces de l’ordre sur le terrain provoque de vifs débats. Contrevenant à un droit démocratique, elle risque d’envenimer un peu plus les rapports entre policiers et citoyens.

 Dans toutes les démocraties du monde, les citoyens ont conquis la liberté d’expression. Celle-ci inclut le droit de témoigner de comportements répréhensibles, y compris de la part d’agents publics, à condition de ne pas porter atteinte à leur dignité ou au secret d’une enquête. Ce droit fondamental est remis en question par la proposition de loi pour « une sécurité globale » déposée par deux députés LRM, avec la bénédiction du gouvernement.

Centrée à l’origine sur les polices municipales et la sécurité privée, la proposition de loi a été complétée par un volet sur la protection des fonctionnaires de police et des gendarmes qui risque d’interdire le fait de filmer les forces de l’ordre en action et d’en diffuser les images. Une liberté qui, si elle peut connaître des abus, joue un rôle décisif dans la mise au jour des violences policières et donc dans la défense des droits civiques. Examiné en commission par les députés depuis le mercredi 4 novembre, ce texte doit être débattu à l’Assemblée nationale à partir du 17 novembre. 

Annoncée après une série d’agressions visant des policiers, la proposition interdit « l’usage malveillant » de l’image des policiers et gendarmes, sous peine d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende. Ses auteurs entendent empêcher les appels à la violence visant des membres des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux. Ils font référence au cas de fonctionnaires identifiés sur des vidéos, puis menacés dans leur vie privée. Pas question d’empêcher de filmer ou de diffuser, assurent-ils. La loi ne pourra être appliquée qu’a posteriori et sous réserve d’une preuve de l’« intention malveillante » devant un tribunal.

Solides contre-pouvoirs

La réalité s’annonce tout autre : par crainte d’une condamnation, les médias risquent de renoncer à diffuser des images d’incidents avec des policiers. Et qui pourra prouver qu’un vidéaste amateur ayant filmé de véritables abus ne nourrissait aucune « intention malveillante » ? Toute image accompagnée de commentaires critiques pourrait « être accusée de chercher à nuire aux policiers », souligne Reporters sans frontières. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, lui-même, a vendu la mèche en se flattant, le 2 novembre, de tenir sa promesse d’interdire la diffusion de « l’image des policiers et gendarmes sur les réseaux sociaux ».

Le texte, s’il est approuvé, couvrira les policiers qui, déjà, interdisent trop souvent de filmer, y compris par la violence. Cela en contradiction avec la circulaire de 2008 du ministre de l’intérieur rappelant que « les policiers ne peuvent s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission ».

Personne ne peut nier que les conditions de travail des policiers et des gendarmes sont de plus en plus dures. Ni l’usage pernicieux qui peut être fait d’une séquence vidéo isolée de son contexte. Mais, des manifestations de « gilets jaunes » à celles contre la réforme des retraites, l’inquiétante multiplication des violences policières n’est pas contestable. Elle suppose de solides contre-pouvoirs.

Rédigée comme une réponse clientéliste à la revendication d’anonymat des syndicats de policiers, la proposition de loi pénalisant l’action de filmer contrevient grossièrement à un droit démocratique. Ambiguë, difficile d’application, elle risque d’envenimer un peu plus encore les rapports entre policiers et citoyens – qu’il s’agirait plutôt de pacifier.

Le Monde

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