Birmanie : 800 000 Rohingyas sans-papiers ni patrie

En Birmanie, la minorité musulmane Rohingya, l’une des plus persécutées au monde selon l’ONU, vient de recevoir un coup fatal. Depuis le 31 mars, les « cartes blanches », ou certificats temporaires d’identité, ne sont plus valables. Les Rohingyas se retrouvent sans papier, avec pour seul avenir le placement dans des camps, sans aucun espoir de reconnaissance.

 

L’Etat birman se prépare-t-il à déporter en masse les Rohingyas ? Tout le laisse croire. Fin mars, les membres de cette minorité, dont la citoyenneté birmane n’est pas reconnue, sont devenus en bloc des sans-papiers, au grand dam de l’ONU. « L’expiration des cartes blanches temporaires détenues par de nombreux Rohingyas comme document d’identité crée de nouvelles incertitudes et accroît leur vulnérabilité », dénonçait la rapporteure spéciale des Nations Unies pour la Birmanie, Yanghee Lee, dans une déclaration du 16 mars. Ces papiers avaient été distribués dans les années 1990, suite à la promulgation de la loi sur la citoyenneté de 1982 (voir encadré). Un million et demi de personnes en seraient titulaires, selon le quotidien officiel New Light of Myanmar, dont 700 à 850 000 Rohingyas.

 

Cette minorité musulmane ne fait pas partie des 135 minorités officielles de la Birmanie. Elle vit dans l’Etat majoritairement bouddhiste de l’Arakan, qui borde les côtes nord-ouest du pays. Le terme même de Rohingya n’est pas autorisé par le gouvernement, qui lui préfère le terme Bengali, considérant ses membres comme des migrants venus du Bangladesh voisin. Marginalisés, apatrides, les Rohingyas sont victimes de persécutions, et de violences religieuses récurrentes ces dernières années.

Contexte
D’où viennent les Rohingyas ? Voilà le problème majeur de cette minorité musulmane. Ses membres soutiennent que leurs ancêtres vivaient déjà en Birmanie au VIIIème siècle, dans le nord de l’Etat de l’Arakan. Certains historiens évoquent une présence à partir du XVème siècle. Ce que rejette en bloc le gouvernement de Rangoon, pour qui cette minorité descend des immigrés du Bengale (l’actuel Bangladesh) durant la colonisation britannique au XIXème siècle. Une immigration encouragée par les Anglais qui utilisèrent ensuite les Rohingyas comme soldats d’un corps d’armée appelé “Force V” contre l’occupant japonais dans les années 1942-1944. L’armée nipponne, elle, forma des milices avec des Birmans bouddhistes. L’immigration “coloniale” puis la violence interethnique ont alimenté un fort ressentiment déjà existant en Birmanie contre les Rohingyas. Après l’indépendance en 1948, le gouvernement démocratiquement élu leur avait pourtant donné la pleine citoyenneté. Un vent mauvais a commencé de souffler avec l’arrivée de la junte militaire au pouvoir en 1962.

Identifications ethniques troubles

Mais tout n’est pas si simple : l’Etat leur a accordé une place à dimension

variable selon les circonstances politiques. En témoigne le parcours de

Kyaw Min et de sa famille.

En 1990, Kyaw Min, bien qu’apatride, est élu député de l’Arakan. Lorsqu’il s’installe à Rangoon, la capitale, il demande des papiers d’identité pour sa famille. Comme il ne peut pas se déclarer Rohingya et que l’identification ethnique est obligatoire, il opte pour l’identité Kaman, une ethnie musulmane qui, elle, est officiellement reconnue. Mais en 2005, le pouvoir l’accuse de falsification d’identité et d’atteinte à la sûreté de l’Etat, suite, notamment, à une rencontre avec des émissaires de l’Organisation Internationale du Travail. Il est condamné à 47 ans de prison. Sa femme et leurs trois enfants écopent d’une peine de 17 ans. Ils retrouveront la liberté en janvier 2012, lors d’une vague de libération de prisonniers politiques.

Wai Wai Nu, leur fille, dirige aujourd’hui une association de femmes Rohingyas et poursuit ses études. Très active, connue à l’étranger, elle a récemment pu se rendre en Europe, avec un « ancien passeport », a déclaré la rapporteure Yanghee Lee. Mais à son retour, alors qu’elle doit recevoir un diplôme, les autorités le lui refusent car elle n’a pas les « bons » papiers. Une situation trouble – sur la question des papiers dont elle dispose, la famille reste très élusive – et pour le moins ubuesque.

Revirements du président Thein Sein

Par opportunisme politique sans doute, le gouvernement avait donc

octroyé le droit de vote et l’éligibilité aux Rohingyas ainsi qu’à tous les

détenteurs de cartes blanches. Mais fin 2014, un amendement à la loi

électorale est revenu sur ces droits.

Est-ce pour satisfaire une « communauté internationale » très critique du sort réservé aux Rohingyas, que le président Thein Sein, début 2015, demande au parlement de les rétablir ? Toujours est-il que le 2 février, la décision est actée par les députés. Mais le 5, les Arakanais bouddhistes manifestent à Sittwe, capitale de l’Etat. Une autre manifestation, mobilisée par les bouddhistes extrémistes, a lieu à Rangoon. Une grève générale s’annonce. Le Parti national arakanais saisit le tribunal constitutionnel. La décision, qui n’avait pas non plus le soutien de la Ligue Nationale pour la Démocratie d’Aung San Suu Kyi, est invalidée le 16 février. Mais le 11, Thein Sein était déjà allé plus loin, annonçant l’expiration pure et simple des «cartes blanches» à la date du 31 mars.

Extrémisme bouddhiste et violences interreligieuses

A l’approche des élections législatives de novembre prochain, la pression des bouddhistes radicaux a sans doute pesé plus lourd que celle de la communauté internationale dans l’esprit du président. La Birmanie connaît en effet une inquiétante montée des tensions interreligieuses et les bouddhistes extrémistes, bien que très minoritaires, ont une influence grandissante. A leur tête, Le moine ultranationaliste Wirathu. Celui qui assume parfaitement son surnom de « Ben Laden birman » prône la violence contre les musulmans.

Le mouvement 969 qu’il dirige est impliqué dans les sanglantes émeutes de Mekhtilia en mars 2013 (32 morts et des milliers de déplacés parmi la population musulmane), et de Mandalay en juillet 2014, deux villes du centre du pays. Les extrémistes bouddhistes ont aussi inspiré un ensemble de lois sur la « Protection de la race et de la religion », actuellement en débat au Parlement. Autre illustration récente de ce climat d’intolérance, l’affaire du “Bouddha aux écouteurs”. Pour avoir publié une annonce montrant un Bouddha coiffé d’un casque audio sur les oreilles, les gérants d’un bar de nuit de Rangoon ont été condamnés en mars à deux ans et demi de prison.

Ces tensions religieuses sont-elles manipulées par les autorités ? Comme certains observateurs, Moe Thway, le président du mouvement pro-démocratie Génération Wave, considère que les autorités cherchent à diviser pour mieux régner. « Avant la transition politique, la population était unie dans la lutte pour la démocratie, contre les autorités militaires. A présent, les gens pensent : oui à la démocratie mais nous ne voulons pas que les musulmans jouent un rôle. Le but de l’USDP, le parti au pouvoir, explique Moe Thway, est de mobiliser les gens les moins éduqués en sa faveur, en vue des prochaines élections. Il se pose donc en protecteur de l’ethnie majoritaire Bamar et du Bouddhisme. C’est un jeu très dangereux. »

Conséquence : Les Rohingyas sont directement touchés. En juin et octobre 2012, les violences qui les ont opposés aux bouddhistes de l’Arakan ont fait 180 morts et entraîné le déplacement d’environ 140.000 personnes.

Le Plan d’action pour l’Arakan : vers « l’encampement » à vie

Ces déplacés vivent désormais dans des camps. Seuls 60.000 d’entre eux reçoivent l’assistance des Nations Unies. Dans l’Arakan, l’aide humanitaire est en effet entravée par la situation politique : début 2014, les locaux et hangars de l’ONU et de la plupart des ONG internationales ont été saccagés, et le HCR regrette que les autorités s’appliquent à séparer physiquement les communautés bouddhistes et musulmanes, ce qui rend impossible tout travail de réconciliation. Le gouvernement s’y applique tant et si bien qu’il prévoit la construction de nouveaux camps destinés à accueillir les Rohingyas.

Cette mesure est inscrite dans le Plan d’action pour l’Etat d’Arakan mis en place suite aux émeutes de 2012, qui prévoit de vérifier l’identité de tous les Rohingyas présents sur le sol birman. Un projet pilote avait d’ailleurs été mis en place en juin 2014 dans le camp de déplacés de Myebon. Il a été interrompu quelques mois plus tard, suite à la protestation des Arakanais bouddhistes, qui redoutaient que les musulmans trichent sur leur identité pour obtenir des papiers.

La jeune militante Wai Wai Nu dénonce un projet d’apartheid et considère même ce plan comme un plan « d’épuration ethnique ». L’ONU a également manifesté son inquiétude : « Je n’ai pas encore reçu la dernière version du plan, a déclaré la rapporteure Yanghee Lee.. Je m’inquiète toutefois de dispositions qui qualifieraient les Rohingyas d’étrangers en situation irrégulière et les soumettraient à un éventuel internement prolongé dans des camps, ou à l’éloignement du territoire. »

Avenir sans issue ?

Les camps de Rohingyas sont par ailleurs nombreux au Bangladesh. Entre 1977 et 1978, 200.000 d’entre eux fuient la Birmanie, suite à l’opération Nagamin, qui visait – déjà – à contrôler l’identité de la population et qui fut émaillée de nombreuses exactions. De nouveau, en 1991 et 1992, environ 250.000 Rohingyas traversent la frontière. Certains sont revenus en Birmanie, mais le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) estime qu’ils sont encore près de 200.000, dont beaucoup nés au Bangladesh. Seuls 30.000 reçoivent une aide humanitaire du HCR.

L’avenir des Rohingyas semble sans issue. La solution, explique Wai Wai Nu, serait l’amendement de la loi sur la nationalité de 1982, la restauration de la citoyenneté des Rohingyas et la reconnaissance de leur identité ethnique. L’an dernier, l’ONU a appelé la Birmanie à revenir sur sa législation. Le fait que le gouvernement vienne de priver les Rohingyas de leur seul papier officiel, montre que l’organisation internationale a peu de chances d’être entendue.

A l’instar de l’association Info Birmanie, certains militants des droits de l’homme se demandent même si le « feuilleton » de la carte blanche et du droit de vote, n’était pas tout simplement une manœuvre destinée à accélérer le bannissement définitif des Rohingyas.

Juliette Gheerbrant

 

D’où viennent les Rohingyas ? Voilà le problème majeur de cette minorité musulmane. Ses membres soutiennent que leurs ancêtres vivaient déjà en Birmanie au VIIIème siècle, dans le nord de l’Etat de l’Arakan. Certains historiens évoquent une présence à partir du XVème siècle. Ce que rejette en bloc le gouvernement de Rangoon, pour qui cette minorité descend des immigrés du Bengale (l’actuel Bangladesh) durant la colonisation britannique au XIXème siècle. Une immigration encouragée par les Anglais qui utilisèrent ensuite les Rohingyas comme soldats d’un corps d’armée appelé “Force V” contre l’occupant japonais dans les années 1942-1944. L’armée nipponne, elle, forma des milices avec des Birmans bouddhistes. L’immigration “coloniale” puis la violence interethnique ont alimenté un fort ressentiment déjà existant en Birmanie contre les Rohingyas. Après l’indépendance en 1948, le gouvernement démocratiquement élu leur avait pourtant doné la pleine citoyenneté. Un vent mauvais a commencé de souffler avec l’arrivée de la junte militaire au pouvoir en 1962.

 

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