Grèce, Charlie, "ghettos" : l’impératif de dignité

Si l’on ne peut pas transposer la situation politique grecque en France, les premiers mots d’Alexis Tsipras en tant que premier ministre résonnent puissamment chez nous. Comment répondre au mépris des gouvernants par la dignité des peuples ?

 

La victoire de Syriza est un choc dans le cercle feutré de l’Union européenne. Disserter sur la reproductibilité de l’expérience n’a pas de sens. Il y a dans la situation grecque de l’exceptionnel : la brutalité sans limite de l’austérité, la morgue de la "Troïka", le déchirement spectaculaire et brutal du tissu social, l’effondrement du système politique et l’illégitimité de l’État. Dans cette exceptionnalité, il y a du bon (l’espace libéré pour de l’alternative) et du moins bon (le blocage du système politique, l’étroite marge de manœuvre des alliances à gauche, la fragilité du tissu économique et social). Dans ces conditions, difficile de juger des choix présents ou à venir d’Alexis Tsipras en fonction de nos critères français.

L’organisation du chantage

Mais il y a pourtant quelque chose d’universel dans le "cas" Syriza, en profonde résonnance avec ce que nous vivons ici. Dans le premier discours du nouveau chef du gouvernement grec, quelques mots servaient de points de repère forts : « responsabilité » et « solidarité » en faisaient partie. « Dignité » s’ajoutait à la liste. Ce mot tout simple nous place de plain-pied dans le fondamental qui relie la France, la Grèce… et bien au-delà.

Assoir de nouveau sa dignité est vital pour un peuple, quand les grands de ce monde s’attachent à la bafouer. Or qu’ont fait les dirigeants des grands organismes bancaires et financiers internationaux, la chancelière d’Allemagne, les chefs d’État de l’Union, sinon répéter inlassablement au peuple grec que son "bien vivre" passait bien après les sacro-saintes contraintes de l’économie de marché ? Qu’ont fait les responsables politiques de droite et de gauche, au cœur même de la récente campagne électorale, quand ils ont organisé méthodiquement le chantage, menaçant les Grecs d’un cataclysme irréversible s’ils allaient jusqu’à porter Syriza au pouvoir ?

Mais qu’ont fait les États de l’Union, après 2005, quand ils ont cyniquement piétiné le vote des Français lors du référendum sur un projet de Traité constitutionnel européen ? Le "non" français impliquait-il la rupture avec le cadre de l’Union européenne ? Certains le souhaitaient ; mais la majorité disait simplement que s’imposait une autre façon de faire l’Europe. Or qu’a-t-on fait au lendemain du vote ? Les États ont renégocié de façon discrète, ont reconduit l’essentiel du texte rejeté et l’ont adopté, cette fois sans consultation populaire. Qu’est-ce donc sinon du mépris ?

Le mépris, moteur du ressentiment

Et que fait-on, en France, depuis des décennies ? On affiche le mépris des catégories ouvrières que l’on a licenciées et déplacées sans consultation, au gré des replis industriels, des délocalisations et des spéculations foncières accompagnant la croissance urbaine et la métropolisation. On affiche le mépris des populations installées depuis quelques décennies, ceux que l’on n’appelle plus des « travailleurs immigrés » mais des« immigrés », à ce point tenus en marge que, à la troisième génération, on reste « issu de l’immigration ». Il n’y a plus de catégories populaires ou de classes solidaires, mais des « natifs » ou des « allogènes ».

On n’utilise plus les référents sociaux mais les désignations raciales (les « Noirs »), ethniques (les « Roms »), religieuses (« les musulmans ») et urbaines (les « ghettos »). On ne cherche plus ce qui rattache, mais ce qui sépare : Français et étrangers, enracinés et migrants, anciens ou récents, travailleurs pourvus d’emploi et chômeurs, salariés à statut et précaires, "in" et "out".

Dans des sociétés polarisées de plus en plus par la concurrence, l’inégalité se double de la discrimination, la brutalité des logiques économiques et le mépris de classe se conjuguent. Or le mépris génère davantage le ressentiment que la colère, d’autant plus que la cause des responsabilités ne se "voit" pas. On voyait concrètement le seigneur ou le patron, mais la finance est évanescente et déterritorialisée ; dès lors ne restent plus que les boucs émissaires.

La seule voie de la dignité

Et si le mépris nourrit le ressentiment, celui-ci à son tour nourrit les solutions courtes : l’abstention politique et l’éloignement à l’égard d’une scène publique où l’on n’est pas reconnu, le vote Front national ou la violence, jusque dans ses formes les plus barbares.

Or il n’est pas de réponse efficace au mépris par la haine, de réponse à la violence de ceux qui sont meurtris par la violence des puissants. En bref, il n’y a, à aucun niveau territorial, de réponse à la guerre par la guerre. La seule voie possible, c’est celle de la dignité, de l’égale dignité, une dignité qui n’est pas indifférente aux spécificités de chacun, mais qui se refuse à faire des différences des clôtures, que ce soit celle des groupes (les ainsi nommées « communautés ») ou des territoires (les « ghettos » de riches ou de pauvres).

La dignité c’est le socle nécessaire de la mise en commun. Davantage que les incantations ou les injonctions morales, elle est la base de relégitimation d’un espace public enfin développé et partagé. La dignité, c’est ce qui rend possible la République, non pas celle des discours grandiloquents et des unanimismes de façade, mais la République de "liberté, égalité, fraternité", ces valeurs fondatrices enfin pensées ensemble et on pas utilisées dans des géométries douteusement variables.

En Grèce, en France, en Europe, le maître-mot est bien celui employé par Tsipras : « dignité », celle des catégories populaires respectées, comme celle des peuples souverains.

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