En Espagne, le Parti populaire marche contre la liberté d’expression

La participation du premier ministre Mariano Rajoy à la "marche républicaine" de Paris, dimanche, a suscité moqueries et indignation en Espagne, où la liberté de la presse est au plus mal et où les mesures d’exception se multiplient.

 

Entre la photo du premier ministre espagnol, défilant dimanche à Paris pour « la liberté et les droits fondamentaux », et les conséquences concrètes de la politique de fermeté du Parti populaire (PP), le contraste est saisissant. En effet, dès le lendemain, la garde civile interpellait sept avocats spécialisés dans la défense d’indépendantistes basques, ceci, alors que s’ouvrait le procès de la militante de nationalité française, Aurore Martin (voir encadré). « Il est évident que le gouvernement Rajoy a profité de la conjoncture pour mener une opération politico-médiatique de reconquête de l’électorat », analyse David Dominguez, chercheur en philosophie politique à l’université Complutence de Madrid.

« Le PP persécute la liberté d’expression »

 

Peu connu en Espagne, Charlie Hebdo rappelle avant tout ici les menaces répétées contre la revue satirique hebdomadaire El Jueves. Le journal illustré avait été saisi le 20 juillet 2007, sur ordre d’un juge de l’Audencia Nacional (la plus autorité judiciaire espagnole) considérant sa Une« clairement dénigrante et objectivement infamante » à l’égard de la couronne d’Espagne (Il s’agissait d’un dessin représentant le prince et la princesse des Asturies en plein ébat sexuel) [1].

« En 2012, lorsque nous avons publié des dessins en soutien à Charlie hebdo, le gouvernement nous a qualifiés ’’d’irresponsables’’, témoigne Mayte Quílez, journaliste et directrice de publication de El Jueves. Il est particulièrement risible de voir manifester aujourd’hui le premier ministre dans un cortège où le mot d’ordre est “je suis Charlie” ! », conclut-elle. Pablo Iglesias, secrétaire général de Podemos, a aussi vivement réagit en rappelant que le « Parti populaire persécute actuellement la liberté d’expression ».

En cause tout d’abord, les poursuites contre l’humoriste Facu Diaz, inculpé lui aussi mercredi 7 janvier par l’Audience nationale, pour le délit « d’humiliation des victimes du terrorisme ». Il est reproché à Facu Diaz un sketch sur la télévision publique, où encagoulé, il annonçait la "cessation d’activités armées du Parti populaire" pour dénoncer l’instrumentalisation de la police dans des affaires de corruption. « Nous sommes tous Charlie Hebdo… tant que la blague n’est pas dirigée contre nous », s’indigne aujourd’hui Facu Diaz.

 

Loi "Mordaza" contre de futurs Indignés

 

Selon le classement de la Freedom House (fondation américaine consacrée à la liberté des institutions), la liberté de la presse en Espagne est au niveau le plus bas depuis 1976 et la fin de la dictature. Acte rarissime en Europe, en février 2003 la justice ordonnait la fermeture de l’unique quotidien publié en basque Egunkaria (le journal ne s’en relèvera pas, même si par la suite toutes les charges retenues par la justice ont été abandonnées).

Depuis 2008, la crise économique a accéléré l’ouverture du capital des journaux à des intérêts privés, multipliant les pressions et les mécanismes d’autocensure des journalistes (les banques transnationales Santander, CaixaBank et le groupe de téléphonie Telefónica détiennent la plupart des médias ibériques, y compris depuis 2012, une part importante du quotidien de référence El Pais).

Enfin, deux initiatives du gouvernement Rajoy constituent une violation évidente de la liberté d’expression : la loi de sécurité citoyenne d’août 2014, surnommée "Mordaza" [en espagnol, "qui empêche de s’exprimer"] remet en question le droit fondamental de réunion et de manifestation dans des lieux publics. En vertu de cette loi, un mouvement du type 15-M sur la Puerta del Sol, dit "des indignés" en France, n’est plus possible, tout comme soutenir une personne expulsée de son logement au travers d’une plateforme citoyenne [2]. Le gouvernement Rajoy prévoit enfin de restreindre pénalement les commentaires sur les réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter.

 

 

 

[1] El Jueves a saisi la Cour européenne des droit de l’homme et la procédure est encore en cours.

[2] Podemos a appelé pour le 31 Janvier à une grande manifestation sur la Puerta del Sol à Madrid : « Nous voulons un symbole pour ouvrir un nouveau cycle politique en Espagne », a déclaré Pablo Iglesias.

 

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