Les Pieds nickelés de l'humanitaire

The Samaritans est la première série qui dénonce les absurdités du secteur de l'humanitaire, par le biais de clichés d'une fausse ONG dénommée Aid for Aid. Une sorte de The Office entièrement produite au Kenya. Interview de son créateur, Hussein Kurji.

 

Les acteurs de la série kenyane "The Samaritans" - Xeinium productions

 

 

Tous ceux qui, au cours des dernières années, ont œuvré au développement international au sein d’une ONG ont probablement vécu l’une des expériences suivantes : 1) Voir un consultant externe ou un responsable être appelé de l’étranger pour "gérer" le bureau local d’un pays non occidental (à noter que, par "bureau local", on entend parfois la capitale de n’importe quel pays, hormis les Etats-Unis et les pays européens) ; 2) Etre choqué par le manque d’éthique au sein d’associations dont la vocation est d'"aider les autres" ; 3) Travailler pour des ONG qui n’ont aucun but apparent.

Une série télévisée a enfin vu le jour pour dénoncer certaines absurdités du secteur de l’aide internationale. Cette comédie, ironiquement baptiséeThe Samaritansdécrit les dangers – et les plaisirs – du monde humanitaire. Créée par une société de production installée au Kenya, elle dépeint les activités de Aid for Aid ["L'aide pour l'aide"], une ONG qui, pour reprendre les termes du producteur, "ne fait rien".

Les téléspectateurs reconnaîtront certains archétypes. Le nouveau directeur local, Scott, qui n’a jamais travaillé au Kenya, fait sa première apparition dans le pilote avec cette brillante entrée en matière : "Beaucoup d’entre vous se demanderont qui j’ai baisé pour décrocher ce poste […]. Je ne suis pas aussi inexpérimenté que certains pourraient le penser, j’ai travaillé pour l’ONG de ma mère à partir de l’âge de 6 ans." Avec deux maîtrises américaines et un stage à son actif, pourquoi ne pourrait-il pas diriger l’association ? Il y a aussi le stagiaire exploité, la directrice adjointe grande consommatrice de médicaments et, bien sûr, un employé qui appelle tout le monde "mon chou".

Nous avons interviewé le créateur de The Samaritans, Hussein Kurji, de Xeinium Productions, pour savoir quel regard il porte sur la série, et pourquoi les rhinocéros y jouent un rôle.

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer cette série ?

Il y a plus de 4 000 ONG au Kenya, et des amis qui ont travaillé dans ce milieu m’ont raconté toutes sortes d’histoires. Un jour, on m’a demandé d’écrire une série humoristique, et l’idée d’associer une série du type The Office à l'univers des ONG a commencé à tourner dans ma tête. Ces histoires invraisemblables que j’avais entendues ne pouvaient-elles pas faire une bonne comédie ?

Quelle est l’histoire la plus folle que vous ayez entendue à propos d’une ONG ?

On m’a raconté qu’aux Etats-Unis un permis de chasser le rhinocéros en Namibie avait été mis aux enchères en vue de collecter des fonds pour protéger cette espèce menacée d’extinction. Le nombre d’histoires de ce genre est incalculable. Il y a quelques années, alors que je travaillais dans un hôtel cinq étoiles de Nairobi, je me suis rendu compte que les ONG n’étaient pas toujours ce qu’elles semblaient être. Tous ces gens qui mangeaient leur bisque de homard en discutant de la manière de réduire la pauvreté… Quelque chose ne tournait pas rond.

Pourquoi la comédie vous semble-t-elle un bon moyen de dénoncer le manque de transparence du secteur humanitaire ?

La comédie étant ce qu’elle est, elle permet de rendre des situations graves plus accessibles et de les montrer à un public plus large. Même si c’est un cliché, je pense que le rire est le meilleur des remèdes. L’accroche de la série est : "The Samaritans est une comédie sur une ONG qui ne fait rien." Avec la comédie, on peut accentuer la réalité. Je dois toutefois avouer que j’ai reçu un mail d’Afghanistan disant : "Nous n’avons pas un Scott dans notre bureau, mais une ONG voisine en a un."

Pensez-vous que les ONG perpétuent les inégalités ?

Je ne sais pas si elles cherchent à les perpétuer, mais les ONG internationales – les plus grosses – ont une foule de formalités administratives à remplir. Les équipes savent que certaines de leurs mesures ou structures ne sont pas efficaces, mais la machine est si lourde ! Comment la changer ?

Dans le secteur du développement international, on commence à dire que les ONG devraient avoir l’obligation de rendre des comptes et être dotées de mécanismes offrant le pouvoir de décision aux populations qu’elles sont censées servir et évaluant leur efficacité par des moyens autres que le système des dons. Ces idées apparaissent-elles dans la série ?

Dans les premiers épisodes, on a introduit une ONG concurrente qui est complètement à l’opposé d’Aid for Aid. On montre qu’elle a une bonne gestion, qu’elle rend des comptes à ses partenaires, bref que le système marche bien pour tout le monde. Mais on dénonce aussi certaines absurdités du système de financement axé sur les dons. Le principal arc narratif de la première saison est le financement qu’Aid for Aid s’apprête à solliciter – le plus important de toute l’histoire du bureau de Nairobi. Dans le deuxième épisode, l’équipe cherche un acronyme avant même de savoir à quoi ce financement va servir. Au fil des épisodes suivants, on montre la douzaine d’étapes par lesquelles l’ONG doit passer pour recevoir les fonds.

Qu’espérez-vous accomplir à travers cette série ?

Nous avons créé la première fiction satirique kényane et nous sommes très heureux de l’intérêt qu’elle a suscité jusqu’ici. Nous voulons créer un produit local pour un marché international et nous espérons trouver à l’échelon mondial des partenaires et des réseaux prêts à collaborer avec nous dans cette aventure.

J’aimerais aller aussi loin que possible. Nous savons que nous critiquons une "grosse machine" et nous ne pensons pas tout changer du jour au lendemain. Mais nous aimerions instaurer un dialogue pour que les gens puissent réfléchir et s’exprimer sur les contextes dans lesquels l’aide est efficace et sur les mesures à prendre vis-à-vis des associations qui ne marchent pas. Nous comptons également dépasser le sujet des ONG pour aborder des problèmes liés au développement international.

 

 

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