“Voyage dans une guerre invisible” : la violence en images des colons israéliens

ENTRETIEN | En filmant et en diffusant sur le Net les violences dont ils sont victimes, des centaines de Palestiniens tentent de sortir de l'invisibilité. Paul Moreira a filmé cette “guerre invisible”.

 

Frappé par la proli­fération, sur le Net, des vidéos d'affrontements entre armée, colons israéliens et Palestiniens, Paul Moreira est parti sur la ligne de front, dans des territoires ­palestiniens toujours plus morcelés par l'avancée des colonies, pour voir quelles chances restent à la paix. Son film témoigne d'une guerre sourde, rythmée par les violences quotidiennes. Et son verdict est sans appel.

Quel est l'impact réel des centaines de caméras amateurs distribuées par l'ONG israélienne B'Tselem aux Palestiniens depuis 2007 ? 

B'Tselem a distribué ces caméras aux Palestiniens des territoires occupés afin que la société israélienne, qui refuse de voir ce que signifie la coha­bitation quotidienne entre armée, colons et Palestiniens, ouvre les yeux. Depuis que tout est filmé, les images corrigent un peu les comportements les plus violents.

Elles ne mettront pas fin aux exactions ni à l'occupation, mais je pense qu'elles évitent les excès. Tout comme les ONG anglo-saxonnes utilisent l'expression « name and shame » (« nommer et couvrir de honte »), ici on pourrait dire « expose and shame » (« montrer et couvrir de honte »), tant certaines images tournées par les Palestiniens sont honteuses pour les forces israéliennes et les colons.

Un spin doctor de Tsahal me con­fiait qu'il a été dépassé par ce phénomène. A chaque fois que les militaires interviennent, ils sont encerclés par les caméras. En réaction, les forces ­israéliennes sont en train de former une centaine de vidéo-combattants. Les colons, eux, se sont déjà dotés de leur propre projet vidéo, mais on ne voit ­jamais rien de leurs images. Car, s'il y a une violence palestinienne, les victimes, au quotidien, ce sont les ­Palestiniens.

Si tout est filmé, pourquoi parler d'une « guerre invisible » ?

Même s'il s'agit d'une guerre pan­optique, elle n'est pas racontée dans les médias institutionnels. Elle l'est uniquement sur Internet, et si on ne va pas la chercher, on ne la voit pas. Ce qui rend ce conflit invisible, c'est qu'il n'y a plus de violences ouvertes : plus d'attentats-suicides, ni d'échanges de feu, hormis quelques roquettes qui partent de Gaza… On a l'impression que la situation est « normale ».

Et c'est un peu le souhait des colons, qui veulent faire croire qu'on arrive à une période de paix. C'est une sorte de négation de l'état de bouillonnement et de la frustration profonde des Palestiniens. Je comprends que les gens se fatiguent de ce conflit, qui dure depuis presque cent ans, mais c'est une erreur de s'en détourner. C'est un endroit qu'il ne faut jamais abandonner du regard.

Les images sont saturées de grillages, de barrières, de soldats…

En entrant dans les territoires palestiniens, on a un sentiment d'étranglement, et ça aussi c'était nouveau pour moi. En 2005, les checkpoints étaient fermés, mais il y avait des voies de communication parallèles. J'étais allé de Ramallah à Jénine sans croiser de soldats : aujourd'hui, c'est impossible.

Le niveau de contrôle des routes palestiniennes est tel que si un conflit se déclenchait la circulation serait entiè­rement verrouillée. Les Palestiniens vivent dans cette espèce de matrice de contrôle absolu, où la possibilité d'être enfermé est constante.

Vous êtes revenu pessimiste de ce reportage…

Oui, parfois, je me demande si on n'est pas entrés dans une sorte de troisième Intifada à bas bruit. On a filmé des scènes d'affrontements en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et j'ai eu le sentiment qu'on était au bord de quelque chose de grave, mais que les deux côtés cherchaient à éviter l'irrémédiable. Comme si chacun faisait attention à ne pas enclencher une séquence de violences propres à initier une troisième Intifada.

Même si, à la fin du film, lors des affrontements de Hébron, fin septembre, des gamins acclament le bruit d'une rafale à balles réelles. Je pense que ces jeunes, qui n'ont pas la mémoire de la deuxième Intifada, iraient bien vers l'affrontement, ne serait-ce que pour reconquérir leur dignité.

 

 

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