Ce projet de loi, présenté en Conseil des ministres le 29 novembre dernier et lancé par le ministre de l’Intérieur Jorge Fernández Díaz, prévoit des amendes qui vont jusqu’à 30 000 euros pour les manifestants organisant des réunions autour d’institutions publiques comme le Sénat ou l’Assemblée, et pour des outrages contre les drapeaux ou autres symboles du pays. Pas encore passée à l’Assemblée, et déjà rebaptisée "loi bâillon", elle a été largement critiquée par les citoyens et le corps judiciaire. En question, la sévérité des sanctions, et la création de trente-et-un types d’infractions graves, qui délimitent les libertés publiques. On y trouve également sept types d’infractions très graves, passibles de 600 000 euros d’amende, parmi lesquelles figurent les troubles à l’ordre public lors d’événements sportifs et religieux, ou les manifestations lors de la journée de réflexion [1] entre la fin de la campagne électorale et le vote.
La date à laquelle ce projet de loi sur la sécurité citoyenne sera soumis au vote de l’Assemblée n’est pas encore connue, mais le Parti populaire y détenant la majorité absolue (186 sur 350 députés), la loi devrait être adoptée sans mal. Avant d’éventuels recours du PSE.
En attendant, « avec ces limitations à l’exercice de réunion, cette loi va à l’encontre du noyau des droits assurés par la Constitution » regrette Oscar García, juriste espagnol « On sent également une volonté de revanche du PP face à des événements passés comme ceux du 13 Mars 2004 [2]. Ils veulent veut également se protéger contre les nouveaux types de concentration (autour du Congrès, du Senat) ». Ce genre de manifestation sera interdit même pendant les heures de fermeture. « Ceci va au-delà des conditions posées par le Code pénal, qui établit des punitions uniquement s’il y a altération du fonctionnement de l’institution ».
Parmi les nouvelles formes de manifestation en Espagne, on retrouve le « escrache », pratiqué entre autres par la PAH (Plataforma de Afectados por la Hipoteca, Plateforme contre les expulsions) : les personnes expulsées de leurs maisons vont souvent à la rencontre des politiques pour proposer de nouvelles mesures ou leur expliquer leur situation personnelle, à un moment où ces derniers ne l’attendent pas – près de leur domicile, dans un café… Si ceux-ci se montrent insensibles au témoignage, les slogans et les pancartes font apparition. Les réactions sont très diverses : si un député du Parti populaire s’est montré positivement surpris : « Il n’y a pas eu d’agressivité, seulement des propositions », avait-il déclaré ; la secrétaire générale du parti les a qualifié de « pur nazisme ». Ce type de protestation, tout comme d’autres manifestations émanant du mouvement des Indignés, n’ont presque jamais subi de sanction judiciaire, malgré un grand nombre de gardes à vue.
La nouveauté fondamentale dans la loi de Fernandez Díaz, c’est qu’elle prévoit la substitution des petites infractions qui passait habituellement par le tribunal, par des sanctions administratives. Et même si le ministre de l’Intérieur présente cela comme une « initiative de dépénalisation, des sanctions cherchant à garantir le droit fondamental de manifestation tout en éradiquant la violence », la plupart de comportements qui sont maintenant définis dans la « loi Bâillon » n’était auparavant pas punis par la justice. En revanche, la sanction pour port de casque ou d’autre élément empêchant d’être identifié lors d’une manifestation atteint 30 000 euros, l’enregistrement et la diffusion d’images pouvant porter atteinte « à l’honneur des agents forces de l’ordre », peuvent coûter 10 000 euros. Sans intermédiaire judiciaire.
Dans une situation de ce type, le manifestant peut faire recours au tribunal contentieux-administratif. Mais avec la réforme du Code pénal entreprise par le ministre de la Justice, Alberto Ruiz-Gallardón, fin novembre dernier, ce ne sera plus gratuit : il faudra s’acquitter de la nouvelle taxe judiciaire [3]. Il faudra également se passer du juge d’instruction pendant les premières étapes du recours.
Des voix se sont élevées dès la publication du projet de loi. Pour Margarita Robles, magistrat du Tribunal suprême il s’agit d’une « restriction de droits dans la lignée de l’administration Rajoy cherchant à dévier l’attention des réductions budgétaires en matière de santé et d’éducation ». Joachim Bosch, de l’association Juges pour la Démocratie ne mâche pas non plus ses mots : « Dans une perspective très autoritaire, le gouvernement cherche à criminaliser les protestations à travers lesquelles les citoyens transmettent leur mal être ». Du coté de Reporters sans Frontières, on dénonce les difficultés posées aux journalistes pour couvrir les manifestations, face à des sanctions administratives directes, encadrés par des concepts juridiques aussi flous que le droit à l’image ou à l’honneur d’un agent. « Est-il possible que dans une démocratie on ne puisse pas filmer les opérations policières lorsqu’elles se déroulent dans l’espace public ? », demandent-ils…
Par